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bien la première indication de ce que nous nommons en France l’hypothèse cosmogonique de Laplace ; mais il n’est pas inutile de faire remarquer que cette hypothèse ne se retrouve chez Laplace que 41 ans plus tard (17î)6). Il est vrai qu’elle est alors présentée avec des développements mathématiques qui en changent absolument la valeur.

Je ne sais si M. Nolen nous fait remarquer dans cette même Histoire du ciel la première idée de cette hypothèse d’Herschell, suivant laquelle la voie lactée ne serait qu’une nébuleuse dont noire soleil ne serait qu’une étoile. Mais ce n’est là qu’un côté secondaire de la question : si nous y avons insisté, c’est que l’importance, purement scientifique de Kant, n’est pas assez connue, du moins en France, et qu’elle mériterait de l’être davantage.

Nous ne pouvons rechercher dans les analyses et les extraits de M. Nolen, l’origine, la première apparition de tous les points principaux de la doctrine de Kant. Bornons-nous à un seul. M. Nolen a parfaitement aperçu l’importance de la question de l’espace dans la philosophie critique. Il nous dit, en effet (p. 64) : « Son esprit (l’esprit de Kant) ne peut résister à la tentation d’agiter, quelque temps encore, la question, si souvent discutée par Leibniz, de la nature de l’espace. Dès le début de sa carrière philosophique, Kant nous apparaît préoccupé du problème, dont la solution, qu’il devait chercher sans trêve pendant 23 ans, et ne rencontrer définitivement qu’en 1770, est le point de départ et presque la doctrine capitale de toute la philosophie critique. » Tout le monde, du reste, connaît la doctrine de l’esthétique transcendentale ; eh bien, en 1747, suivant M. Nolen, Kant ignore absolument cette théorie. Il ne fait encore que pressentir le faible de la théorie régnante sur la nature de l’espace. Vingt ans plus tard (1768) dans l’opuscule intitulé : « Du premier fondement de la distinction des lieux dans l’espace, » Kant n’est pas encore arrivé à sa théorie définitive sur l’idéalité de l’espace et du temps. Il se borne à établir que l’espace est indépendant de la matière et qu’il a sa réalité propre (p. 153). Mais, deux ans plus tard, dans la thèse d’inauguration par laquelle, suivant les statuts académiques, Kant devait ouvrir son enseignement à l’université de Kœnigsberg comme professeur ordinaire de philosophie, nous trouvons dans ses traits essentiels toute la doctrine de l’esthétique transcendentale (p. 156 et 162). Nous arrivons ainsi à cette conséquence curieuse : qu’en 1770, c’est-à-dire après 23 ans d’études et de méditations, Kant arrive enfin à ce principe qui, 11 ans plus tard, devait être le fondement de toute la philosophie critique.

Je ne sais s’il y a dans l’histoire quelque chose de plus grand que cet effort de trente-cinq ans qui fut nécessaire à Kant pour établir son système. On peut mesurer là-dessus l’intérêt de l’histoire racontée par M. Nolen. Je ne lui ferai qu’un reproche, c’est d’être trop courte. Je me console en pensant que M. Nolen est libre de la refaire plus longue.

Troisième partie. — La philosophie critique. — La philosophie critique n’a pas échappé à la destinée de tous les grands systèmes, qui