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analyses.nolen. Critique de Kant

veaux essais sur l’entendement humain ont été publiés pour la première fois par Raspe à Amsterdam en 1766. (M. Nolen, p. 139). Il faut remarquer qu’à cette époque tous les ouvrages considérables de Condillac, tous ceux de Hume avaient paru ; mais ce qui a pour nous plus d’importance, il y avait alors justement 20 ans que Kant avait commencé sa carrière de philosophe et d’écrivain. Je demanderai si la lecture d’un pareil ouvrage à cette date n’a pas pu avoir son influence sur le développement des idées de Kant. Je ne puis m’empêcher de penser qu’une fois entré dans cette voie un historien aussi complètement préparé que M. Nolen nous eût appris bien des choses intéressantes et nouvelles. Il est inutile d’indiquer comment cette remarque peut être généralisée.

Deuxième partie. — Les lecteurs français de Kant se sont jusqu’ici, comme il est naturel, attachés de préférence aux trois Critiques ; aussi, liront-ils avec un très-grand intérêt l’histoire de la pensée de Kant que leur présente M. Nolen. Cette histoire n’embrasse pas moins de 35 années ; elle présente des analyses et des extraits de 17 ouvrages, qui, pour la plupart, n’ont jamais, je crois, été traduits en français. On voit qu’elle aurait pu très-facilement devenir le sujet d’un ouvrage particulier. Borné par les limites qu’il s’est lui-même imposées, M. Nolen n’a pu être complet, et l’on ne saurait sans injustice lui demander de l’être. Cependant, on ne peut s’empêcher de regretter souvent qu’il se borne à indiquer ce qu’il eût été si intéressant de voir développer.

On sait que dans la première partie de sa carrière philosophique Kant a été très-préoccupé de questions scientifiques, surtout de questions mathématiques. Son premier ouvrage (1747) a pour titre : « Pensées sur la véritable mesure des forces vives, et appréciation des arguments que M. Leibniz et d’autres philosophes mécanistes ont employés dans la discussion de ce problème, précédées de quelques considérations générales touchant la force des corps. » On sait que Reid s’est occupé du même sujet presque à la même époque (Essai sur la quantité, 1748). Tous les philosophes de cette époque admettaient sans difficulté cette vérité, trop souvent oubliée depuis, que toute métaphysique utile doit commencer par une étude critique des principes de la mécanique. Dans l’ouvrage qui nous occupe, Kant présente sur la nature de l’espace les vues les plus curieuses. On y trouve des pensées comme celle-ci : « La raison des trois dimensions de l’espace est encore ignorée… S’il est possible qu’il y ait des espaces de dimensions différentes du nôtre, il est vraisemblable que Dieu les a effectivement réalisés quelque part. » On voit que dès 1747 Kant était sur la voie de cette géométrie imaginaire dont Gauss ne devait poser les principes que vers 1792, qui ne devait être définitivement constituée que par les travaux presque contemporains de MM. Lobatschewsky et J. Bolyai, et dont le développement doit amener des modifications profondes dans les spéculations philosophiques concernant la nature de l’espace. Dans son analyse de l’Histoire du ciel (1755), M. Nolen nous montre