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analyses. — e. caro. Morale sociale.

sacrifier par des systèmes très-dissemblables sur plusieurs points, mais auxquels leurs tendances fatalistes donnent une physionomie commune. Que ce soit Auguste Comte, avec la doctrine célèbre des trois états, l’état théologique, l’état métaphysique, l’état positif, ou M. Littré avec les quatre degrés successifs du développement individuel et social, le besoin, le sentiment affectif et moral, le sens du beau, la recherche scientifique ; qu’il s’agisse de la théorie profonde de M. Buckle, ramenant tous les changements humains à une double influence, l’action de la nature sur l’esprit, l’action de l’esprit sur la nature, ou enfin du darwinisme historique de M. Bagehot ; il n’en est pas moins vrai qu’avec une grande variété dans la forme de leurs conceptions tous ces penseurs se donnent la main pour imposer à l’humanité les lois d’un développement nécessaire et fatal, et pour écarter ce qui est aux yeux de M. Caro le fonds même de l’histoire : « le jeu des spontanéités libres, l’intervention des énergies héroïques et des inspirations sublimes, l’essor inattendu des initiatives qui coupent la série des phénomènes. »

Nous ne nous aviserons pas de dire que l’intervention de l’idée de liberté dans la philosophie de l’histoire soit inopportune. Qu’il nous soit permis cependant de remarquer que la discussion métaphysique du libre arbitre n’a en elle-même rien à démêler avec l’idée qu’il convient de se faire de la marche générale des événements. Les partisans les plus décidés du libre arbitre sont bien obligés d’accorder que la liberté humaine se meut dans des sphères tellement étroites qu’elle ne peut exercer une influence sérieuse sur la direction de l’histoire. Les statistiques ne prouvent-elles pas que malgré l’effort des libertés individuelles les actions humaines donnent à peu près toujours des résultats constants et identiques, les mêmes motifs sollicitant et déterminant les volontés ? De même que nos mouvements individuels dans un sens ou dans un autre n’empêchent pas le mouvement général de la terre qui nous porte, de même le jeu de nos libertés personnelles ne trouble pas la marche de l’humanité vers l’idéal qu’elle poursuit et qui la mène.

M. Caro est un sage ami du progrès. Il ne partage pas les illusions de ceux qui lui attribuent un avenir illimité, mais il sait le reconnaître partout où il existe, particulièrement en morale, malgré les dénégations absolues de M. Buckle et les réserves partielles de M. Bouillier. Peut-être se défie-t-il un peu trop du mouvement qui entraîne les sociétés modernes vers la démocratie. Le souvenir d’événements récents se mêle ici, par un retentissement douloureux, aux réflexions générales de M. Caro, et en explique les teintes sombres, le ton découragé. La démocratie ne peut que profiler d’ailleurs des avertissements sages que lui adresse, non pas précisément un adversaire, mais un conseiller légèrement pessimiste. Par exemple, c’est avec une finesse malicieuse que M. Caro reproche aux républicains de notre pays leur engouement irréfléchi pour la nouvelle philosophie positiviste. Ils l’ont accueillie