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blesse de la sensation ou tout autre motif nous a empêché de les examiner attentivement) et le désir, dans le sens rigoureux du mot, qui se représente davantage la réalisation du souhait, la regarde comme possible, plus ou moins facile à atteindre, et emprunte à la vive représentation du mouvement nécessaire, un stimulant d’autant plus fort pour l’exécuter. Le souhait peut être plus ou moins résigné et plus ou moins vif ; il peut être ardent, il peut être un vœu passionné, et néanmoins, comme nous venons de le dire, il se distingue essentiellement du désir en ce que ce dernier se représente nettement le moyen de la réalisation et la regarde comme plus ou moins facile à amener. Le désir, de son côté, peut être calme, timide, modéré, ou brutal, hardi, effréné, il peut être impétueux et passager, ou plus ou moins obstiné, tenace, passionné. Le souhait et le désir sont la condition réciproque l’un de l’autre. Le souhait est le père du désir et c’est là, à proprement parler, la règle générale. Mais l’occasion aussi fait le larron ; la connaissance de la facilité de la réalisation peut faire naître le souhait, et dans tous les cas l’idée de la possibilité de cette réalisation le fortifie.

Si j’ai dit auparavant que le souhait et le désir procèdent du souvenir d’un plaisir, cette opinion semble contredite par l’expérience journalière qui nous montre que nous souhaitons très-souvent de ne pas voir arriver une chose désagréable et que nos répulsions égalent nos désirs en violence. Cependant si nous y regardons de plus près, nous trouverons facilement qu’il y a toujours au fond une idée positive de plaisir. Si je souhaite, par exemple, de ne pas subir une diminution de fortune dont je suis menacé, c’est parce que je me représente les bonnes choses que l’argent doit me procurer, et si je fais tous mes efforts pour éviter un danger de mort, c’est parce qu’en ce moment je sens avec un redoublement de vivacité combien j’étais, à vrai dire, heureux dans ma personne. La crainte des maux est à la vérité une excellente maîtresse pour discipliner nos désirs, elle aide à les modérer et à les réprimer, comme nous le savons tous, mais elle n’est pas, ou, du moins, elle n’est pas en général, ce qui existe réellement, ce qui nous détermine dans nos actes.

Comme les appétits, les désirs aussi sont principalement physiques. À la vérité on peut nous objecter que nos sentiments élevés — intellectuels et moraux — engendrent nécessairement des appétits et des désirs, et le langage habituel confirme cette objection ; en effet nous parlons de nobles désirs, de souhaits charitables, patriotiques. Mais si nous considérons que nos pensées sont produites par nos désirs, qu’elles sont entièrement à leur service, il est clair qu’il ne peut être question en ce moment de sentiments engen-