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être ou du vide à côté de l’être ou du plein. Les atomistes allèrent jusqu’à dire que l’être n’existe pas plus que le non-être, parce que le vide et les corps existent également. L’être cessa d’être l’Un des Éléates pour devenir une multitude infinie en nombre de particules matérielles en mouvement dans le vide. Dès lors tout ce qui arrive dans le monde, les changements et les transformations de la substance, se réduisent à l’union et à la séparation de ces corpuscules. Même conception chez Empédocle et chez Anaxagore. Mais, que ces philosophes aient fait tout venir des modifications d’une substance unique par voie de raréfaction et de condensation, ou qu’ils aient expliqué les causes de tous les phénomènes par la forme, l’ordre, et la position des particules ultimes des corps, ils se sont du moins accordés à regarder le principe des choses comme incréé, immuable et impérissable.

C’est une vérité presque banale, et qu’il est pourtant toujours bon de rappeler, que les Grecs admettaient naturellement l’éternité de la matière existant par soi-même. Au contraire, comme l’a noté M. A. Bain en examinant ce qu’il faut penser de la preuve dite de « l’inconcevabilité du contraire, » beaucoup d’hommes des temps modernes prétendent que l’existence par soi de la matière est absolument inconcevable. Nul doute que l’influence des religions monothéistes, avec leur dogme de la création, n’ait amené chez les chrétiens cette grave modification mentale dans la conception du monde. Quoi qu’il en soit, l’idée de l’éternité de la matière et de la persistance de ce qui la constitue à travers toutes les transformations est générale chez les philosophes grecs[1]. Or, si l’on examine au point de vue de nos connaissances actuelles la valeur relative des différentes théories édifiées par ces antiques penseurs, on constate, d’une part, que « quelque vraisemblance peut être accordée au rêve que faisaient les anciens d’atteindre une dernière unité fondamentale, au milieu de la diversité en apparence infinie de la nature[2] », et, d’autre part, que « nous sommes ramenés à l’atomisme professé par Démocrite, par Gassendi, par Descartes. Mais, ajoute M. de Saint-Robert, si ce n’était alors qu’un système philosophique à l’appui duquel on ne pouvait fournir aucune des preuves sérieuses que réclame la science véritable, aujourd’hui c’est une hypothèse physique que beaucoup de faits sont venus étayer, et qui est bien près de devenir une vérité[3]. »

  1. Toutes les écoles hindoues de philosophie ignorent également la création ex nihilo, qu’il s’agisse du monde matériel ou du monde immatériel.
  2. Alex. Bain, Logique, ii, 179-80 de la trad. franc.
  3. P. de Saint-Robert. La nature de la force, dans la Conservation de l’énergie, par Balfour-Stewart, p. 201.