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Wallace dans ses « Contributions to the theory of the natural selection, 1870, » emprunte au chapitre II des Parerga et au t. I, p. 122 Du monde comme volonté et représentation les raisons et presque les termes dont Schopenhauer se sert pour établir que la matière se résout en force, et que la force n’est que la manifestation de la volonté.

M. Zöllner, après avoir ainsi défendu les titres de Schopenhauer et déterminé la part qui lui revient dans la construction de la théorie des raisonnements inconscients, établit un parallèle entre les jugements moraux et les jugements théoriques, que ces raisonnements inconscients nous suggèrent.

La loi fondamentale de la morale, c’est que les motifs de nos actions soient tels qu’ils puissent être adoptés par tous les autres êtres raisonnables. Or, cette loi exprime la même tendance à régler, à réduire au minimum les actions des êtres raisonnables, que l’on démontre théoriquement et à priori pour les mouvements des molécules élémentaires d’un gaz, en partant de la supposition que les changements matériels y sont associés à des processus de sensibilité.

De même que le langage perpétue dans les mots les jugements théoriques que l’humanité a mis des milliers d’années à conquérir, ainsi la Religion et l’État perpétuent dans leurs lois et leurs préceptes les leçons morales que l’humanité a reçues de l’expérience et qu’elle a chèrement payées de son sang. — Ces vues s’accordent avec celles que Max-Müller a développées dans sa science comparée des religions.

Mais poursuivons l’analogie affirmée entre les réactions inconscientes de l’Entendement ; étudions-la dans le jeu des sens extérieurs et le développement du sens moral. « Nous observons qu’un exercice prolongé des organes sensibles et de l’activité intellectuelle qui s’y associe, affaiblit et émousse nos diverses facultés. Le sommeil seul peut les raviver par les périodes de repos qu’il leur ménage. De même l’activité sans trêve de la volonté affaiblit graduellement l’énergie de ses réactions morales ; et l’on voit par suite avec le temps la moralité et la convenance moyennes des actions humaines subir un arrêt funeste. » — « Le principe de la conservation de la force est aussi vrai dans les processus historiques que dans ceux de la nature. » Les premiers ont leur périodicité nécessaire comme les seconds ; et, sur la surface de notre globe, les phénomènes historiques obéissent à la même loi que les phénomènes météorologiques. C’est au jeu de forces inconscientes, comme celles qui agissent dans la nature, que l’histoire doit la régularité de son développement.

Buckle, dans son Histoire de la civilisation, méconnaît le rôle des puissances inconscientes qui gouvernent la volonté des individus et des peuples. Il attribue volontiers aux œuvres de l’entendement conscient, aux principes abstraits de la réflexion, une efficacité égale, sinon supérieure, à celle de ces facteurs inconscients sur notre volonté.