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alors le principe est faux : car de telles causes ne prouvent pas du tout l’existence des fins : par exemple, la combinaison de l’oxygène et de l’hydrogène est très-propre à produire de l’eau ; il ne s’ensuit pas que la nature, dans ces combinaisons, ait eu pour but la production de l’eau ; et cela reste à démontrer.

En résumé, la cause finale ne peut pas être posée à priori comme une condition nécessaire de la pensée : elle doit être cherchée et établie par l’analyse et la discussion.

II.
LES ABUS DES CAUSES FINALES

L’une des principales causes des préventions répandues contre la doctrine des causes finales, est l’abus qui a été si souvent fait de cette doctrine, et qu’il est si facile d’en faire. Dénoncer ces abus et les rejeter, ce sera donc affaiblir d’autant les préventions qui s’élèvent contre la doctrine elle-même. Ces abus ont été, en effet, très-fréquents. En voici les principaux :

1o Le premier et le plus ancien abus des causes finales, qui n’est plus guère à craindre aujourd’hui, mais qui a longtemps régné, c’est de se servir de ce principe, comme d’un argument contre un fait ou contre une loi de la nature, lors même que ce fait ou cette loi seraient démontrés par l’expérience et le calcul, c’est-à-dire par les méthodes les plus rigoureuses dont la science humaine puisse disposer. Il n’est pas un seul savant aujourd’hui qui oserait rejeter un fait parce qu’on n’en verrait pas la cause finale, ou parce qu’il paraîtrait contraire à telle cause finale que l’on se serait forgée d’avance dans l’esprit : mais il n’en a pas toujours été ainsi.

Par exemple, l’une des plus belles découvertes astronomiques des temps modernes due au profond génie d’Herschell, est la découverte des étoiles doubles et multiples, c’est-à-dire d’étoiles circulant autour d’autres étoiles, et leur servant en quelque sorte de planètes. Jusque-là, on avait cru que toute étoile devait jouer le rôle de soleil ou de centre, et qu’autour de ce soleil, ne pouvaient graviter que des corps obscurs recevant la lumière du soleil central. Il est démontré maintenant qu’il est des soleils qui gravitent autour d’autres soleils ; et cette découverte a permis à Bessel d’appliquer à l’univers stellaire le grand système de la gravitation newtonienne, qui n’était applicable jusqu’alors qu’à notre système solaire. Or,