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léon dumont.de l’habitude

le ton relatif ; mais d’un autre côté, le principe sensitif a élevé les forces du système pour le mettre, pour ainsi dire, au niveau de cette excitation et conserver le même rapport qu’auparavant ; il persiste pendant un certain temps dans cette détermination ; si, pendant qu’elle dure encore, la même cause vient à agir de nouveau, il est évident qu’elle devra produire moins de changement que la première fois, puisqu’elle trouve l’organe et le système montés d’avance, en partie, au ton où elle tend à les porter, et qu’elle altère par conséquent bien moins le rapport des forces ; la sensation sera donc moins vive. Plus les répétitions seront fréquentes et se succèderont dans de courts intervalles, plus les effets se rapprocheront de ceux de la continuité. Si les intervalles étaient assez longs pour que le système et l’organe fussent revenus à leur état primitif, il est simple que la sensation répétée serait comme nouvelle ».

Nous avons montré, dans notre étude Sur la sensibilité, que si l’habitude émousse les sentiments, elle expose néanmoins, lorsqu’elle est détruite, à faire ressentir une peine d’autant plus vive que sa destruction est plus complète ou plus rapide, ou qu’elle-même avait plus de force et de solidité. Ainsi les habitudes qui sont les plus invétérées et dont l’exercice par conséquent nous affecte le moins, sont justement celles dont l’altération, le dérangement nous feront le plus de peine. Nous n’éprouvons guère de plaisir dans la simple conservation de nos organes qui ne sont que des combinaisons d’habitudes ; et cependant quand ces organes sont blessés, lésés d’une manière quelconque, nous pouvons endurer de terribles souffrances. Cela tient à ce que la simple conservation d’une manière d’être acquise ne suppose pas d’accroissement nouveau de la force, ce qui est le plaisir même, tandis que la destruction de ce même état implique une diminution de la force ; or la conscience de cette diminution n’est pas autre chose que la douleur. Deux personnes ayant l’habitude de vivre ensemble peuvent ne plus goûter de plaisir dans leurs relations ordinaires, et néanmoins la séparation leur sera très-pénible. Nous pouvons même nous habituer aux défauts d’abord désagréables des gens avec lesquels nous vivons, à tel point que nous serions exposés à être péniblement affectés, si ces défauts venaient subitement à disparaître. On n’éprouve aucune émotion à habiter son pays natal, mais souvent la nostalgie nous prend, quand nous l’avons quitté. Le goût, l’odorat deviennent insensibles à l’action répétée de substances stimulantes, telles que les liqueurs fortes, le tabac ; mais en même temps ces substances donnent naissance à des besoins impérieux, et nous souffrons dès que nous en sommes privés.

Les vieillards ont plus d’habitudes acquises que les jeunes gens, et