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penchant, le besoin même doivent être expliqués par l’habitude, et non l’habitude par eux. Les expressions de tendance, de penchant donnent simplement à entendre que les conditions principales d’un phénomène étant déjà réalisées dans un individu ou un organe, il reste très peu de conditions à ajouter pour que l’accomplissement du phénomène s’ensuive ; l’acte que nous avons le plus de tendance à accomplir à un moment donné est celui pour lequel il est nécessaire de faire intervenir le moins d’excitation. Cela n’est pas l’habitude, mais l’habitude correspond seulement à quelques-unes des conditions réalisées. La tendance se compose de l’habitude combinée avec un superflu de force disponible prêt à s’exercer sur un objet. L’acte ou l’accomplissement de la tendance résulte par conséquent : 1o de l’habitude ; — 2o d’un superflu de force fourni par l’organisme ou par une excitation ; — 3o d’une force ayant les caractères d’un objet sur lesquels agissent l’habitude et l’excitation et qui réagit sur elles. En somme trois éléments qu’on peut désigner ainsi : Faculté ou propriété, excitation et réaction. De ces trois éléments le premier seul peut être représenté par l’habitude.

Une autre notion qui a des relations intimes avec l’habitude est celle d’adaptation. Elle a été admirablement exposée par Herbert Spencer dans son traité de Biologie et ses Principes de Psychologie[1]. L’illustre philosophe anglais auquel nous emprunterons plus d’un fait, considère la vie en général et l’intelligence en particulier comme le résultat d’une adaptation incessante de l’individu à toutes les variations du milieu. Chaque changement du monde extérieur a en nous son retentissement ; la conservation de l’individu est à ce prix. Si l’ensemble de tous ses éléments ne s’adaptait à chaque instant aux forces extérieures, sa cohésion se briserait et il serait détruit. Vivre, c’est se remettre perpétuellement en équilibre. Si le monde en dehors de nous ne changeait pas, nous n’aurions pas besoin de changer nous-mêmes, nous n’aurions même pas besoin de vivre pour nous conserver. Mais à chaque mouvement qui arrive jusqu’à nous, nous nous trouvons dans de nouvelles conditions d’existence auxquelles tous nos faits intérieurs sont obligés de se réajuster. L’évolution d’un être vivant n’est que l’adaptation de plus en plus parfaite, de plus en plus complexe, d’un système de mouvements hétérogènes constituant une individualité, avec tous les mouvements des autres êtres.

De cette manière d’interpréter la vie et l’intelligence résulte assurément une conception magnifique du monde, bien qu’il y manque

  1. The principles of biology, 1864, 2 vol. in-8o. — The principles of psychology, 2 vol. in-8o, traduit en français par MM. Ribot et Espinas, 1874.