Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome I, 1876.djvu/340

Cette page a été validée par deux contributeurs.
332
revue philosophique

fait avec dessein que des choses qu’ils avaient déjà faites, sans avoir eu le projet de les faire. Ils n’ont pensé à faire des analyses qu’après avoir observé qu’ils en avaient fait ; ils n’ont pensé à parler le langage d’action, pour se faire entendre, qu’après avoir observé qu’on les avait entendus. De même ils n’auront pensé à parler avec des sons articulés qu’après avoir observé qu’ils avaient parlé avec de pareils sons, et les langues ont commencé avant qu’on eût le projet d’en faire. C’est ainsi qu’ils ont été poëtes, orateurs, avant de songer à l’être ; en un mot, tout ce qu’ils sont devenus, ils l’ont d’abord été par la nature seule[1]. »

M. Ad. Garnier a également soutenu cette thèse qu’on ne peut vouloir faire que ce qu’on a déjà fait involontairement. « Pour vouloir faire le bien, dit-il, il faut avoir l’idée du bien ; pour vouloir employer un signe, il faut que l’idée du signe ait précédé la volonté… L’action involontaire précède toujours l’action volontaire ; car on ne regarde et on n’écoute qu’après avoir vu et entendu involontairement. Écouter, c’est vouloir entendre, comment voudrait-on entendre, si on ne savait pas ce que c’est ; et comment le saurait-on si on n’avait entendu involontairement ?… Nous ne pouvons vouloir nous rappeler que l’objet dont nous avons déjà un souvenir vague et confus ; car si nous n’en avions aucune idée, comment pourrions-nous vouloir l’évoquer ?… Le vouloir ne peut se prendre qu’à un acte que nous connaissons, et, pour le connaître, il faut que nous l’ayons déjà accompli[2]. »

Si nous passons au point de vue objectif, nous rappellerons qu’un de nos physiologistes les plus distingués, M. Luys, n’hésite pas à présenter la volonté comme une action réflexe cérébrale. D’après lui, « l’action motrice volontaire que l’on est habitué à considérer comme tout ce qu’il y a de plus spontané en nous, et comme l’expression la plus directe de la personnalité humaine, n’est, en définitive, au point de vue de sa genèse et de son évolution naturelle, qu’un phénomène subalterne, une action en retour enchaînée à une impression sensitive, à une émotion antérieure, à un ébranlement quelconque du sensorium ; elle n’est, en un mot, dans son mécanisme intime, dans son mode de projection extrinsèque, qu’une action réflexe plus ou moins consciente, plus ou moins automatique, perfectionnée et amplifiée par le jeu propre des éléments cérébraux qui entrent dans sa constitution[3]. » Cette idée, que la volonté n’est

  1. La Logique, 2e partie, ch. 3.
  2. Traité des Facultés de l’âme, liv. V, ch. 2, § 2, et liv. VIII, ch. 2, § 3.
  3. Études de physiologie et de pathologie cérébrales. —Des actions réflexes du cerveau dans les conditions normales et morbides de leurs manifestations. —