Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome I, 1876.djvu/331

Cette page a été validée par deux contributeurs.
323
léon dumont.de l’habitude

vivants[1]. » M. Lemoine cherche à s’appuyer sur l’autorité d’Aristote qui disait : « On aura beau jeter une pierre en l’air mille fois, elle n’y montera jamais sans une force qui la pousse. » Rien n’est plus vrai ; mais il nous semble qu’on pourrait en dire autant de l’homme et des animaux dont on voudrait faire les sujets exclusifs de l’habitude ; car ce n’est certainement pas en jetant les oiseaux en l’air qu’on leur a appris à voler.

Les seuls philosophes qui aient protesté contre une manière de voir si répandue, devaient être naturellement ceux qui, tourmentés du besoin de généralisation qui est le commencement de la science, cherchent à ramener les faits de l’univers à des principes aussi simples et aussi peu nombreux que possible et à combler par conséquent l’abîme qui n’existe qu’en apparence entre le monde inorganique et les règnes vivants. Auguste Comte par exemple trouvait que la loi de l’habitude aurait dû être, en principe, scientifiquement rattachée à la loi universelle de l’inertie, telle que l’entendent les géomètres dans la théorie positive du mouvement et de l’équilibre. « Peut-être, ajoutait-il, y aurait-il lieu à revenir jusqu’en un certain point sur la notion philosophique fondamentale qui me semble faire, d’une telle propriété, un attribut trop exclusif de l’organisme animal, lequel, dans toute hypothèse, en demeurerait néanmoins plus éminemment susceptible, en vertu de sa beaucoup plus grande souplesse. En effet, il n’y a pas jusqu’aux appareils purement inorganiques qui ne comportent spontanément une plus facile reproduction des mêmes actes, d’après une réitération convenablement prolongée et suffisamment régulière ; ce qui est bien le caractère essentiel de l’habitude animale, surtout quand on se borne à l’envisager dans les fonctions qui dépendent de l’irritabilité… L’étude approfondie des phénomènes sonores ne nous révèle-t-elle pas la faculté de contracter de véritables habitudes, c’est-à-dire des dispositions fixes d’après une suite suffisamment prolongée d’impressions uniformes ; cette faculté qui semblait exclusivement appartenir aux êtres animés, n’est-elle pas ainsi clairement indiquée, à un degré plus ou moins grand, pour les appareils inorganiques eux-mêmes[2] ? »

Tout le monde sait qu’un vêtement, après avoir été porté un certain nombre de fois, se prête mieux aux formes du corps que lorsqu’il était neuf ; il y a eu un changement dans le tissu, et ce changement est une habitude de cohésion. Une serrure joue mieux après avoir servi ; il a fallu d’abord plus de force pour vaincre cer-

  1. L’Habitude et l’Instinct, 1 vol. in-8o, Germer Baillière.
  2. Cours de Philosophie positive, 22e et 45e leçons