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LES CAUSES FINALES[1]


I
LE PROBLÈME

Le terme de cause finale (causa finalis) a été introduit dans la langue philosophique par la scolastique[2]. Il signifie le but (finis) pour lequel on agit, ou vers lequel on tend, et qui peut être par conséquent considéré comme une cause d’action ou de mouvement. Aristote l’explique ainsi : « Une autre sorte de cause, dit-il, est le but, c’est-à-dire ce en vue de quoi (τὸ οὗ ἕνεκα) se fait l’action : par exemple, en ce sens, la santé est la cause de la promenade. Pourquoi un tel se promène-t-il ? c’est, disons-nous, pour se bien porter ; et en parlant ainsi, nous croyons nommer la cause[3]. »

Examinons de près le caractère propre et singulier de ce genre de cause. Ce qui la caractérise, c’est que suivant le point de vue où l’on se place, le même fait peut être pris soit comme cause, soit comme effet. La santé est sans doute la cause de la promenade ; mais elle en est aussi l’effet. D’une part la santé n’arrive qu’après la promenade, et par elle : c’est parce que ma volonté, et, par ses ordres, mes membres ont exécuté un certain mouvement, que le bien-être s’en est suivi ; mais d’un autre côté, en un autre sens, c’est pour obtenir ce bien-être que je me suis promené : car sans l’espoir, sans le désir, sans la représentation anticipée du bienfait de la santé, peut-être ne serais-je pas sorti, et mes membres seraient-ils restés en repos. Un homme en tue un autre : en un sens, la mort

  1. M. Paul Janet veut bien nous communiquer deux extraits d’un livre qu’il doit prochainement publier sur Les causes finales : le premier est l’introduction même de l’ouvrage ; le second en est un des chapitres.
  2. Aristote ne l’emploie jamais ; il dit : le but (τὸ τέλος), le en vue de quoi (τὸ οὗ ἕνεκα), mais jamais la cause finale (αἰτία τελική).
  3. Phys., l. II, c. 3.