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l’idiot, le crétin et même chez certains paralytiques : les idées sont tellement disjointes que l’intervalle qui les sépare est appréciable à tout le monde. Ces faits et leurs analogues offrent un grand intérêt scientifique, jettent du jour sur bien des questions. Ils nous montrent, par exemple, comment notre appréciation subjective du temps dépend tout entière de la rapidité ou de la lenteur de notre pensée. Il suffisait au célèbre mangeur d’opium de Quincey d’augmenter sa dose habituelle, pour croire « qu’en une nuit, il avait vécu mille ans ou plutôt un laps de temps qui excède la limite de toute expérience humaine. »

On peut aller encore plus loin. Au lieu de ces appréciations du sens intime, toujours vagues et qui d’ailleurs ne sont applicables qu’à une série d’états, on s’est proposé de mesurer, dans sa durée et avec ses variations, à l’aide d’instruments exacts, l’état de conscience tout seul.

Ces travaux sont récents et, comme on peut bien le croire, très loin d’être complets. Sans parler des grandes difficultés que l’expérimentation présente, il y avait beaucoup de préjugés à vaincre. Müller lui-même considérait comme chimérique toute tentative à cet égard ; et les premières suggestions vinrent non de la physiologie, mais d’une science qui paraissait complètement étrangère aux études de cette sorte, l’astronomie. Aussi pendant longtemps, elles restèrent incomprises.

En 1795, Maskelyne, astronome à l’observatoire de Greenwich, constata que son aide Kinnebrook notait toujours le passage des astres au méridien avec un retard de 0sec 5 à 0sec 8, et persuadé que sa négligence était incorrigible, il le renvoya. Plus tard vers 1820, Bessel, en comparant ses propres observations avec celles de plusieurs astronomes, notamment de Struve et Argelander, vit qu’il était toujours en avance sur eux, et en cherchant les causes de cette différence, il fut amené à découvrir l’équation personnelle. D’après la méthode dite de Bradley, alors usitée dans les observatoires, on employait un télescope dans lequel était tendu un fil très-fin et l’on notait l’instant précis où l’étoile traversait le fil. On employait à cet effet un pendule battant la seconde. L’observateur avait donc à noter et à réunir deux sensations d’ordre distinct, l’une visuelle, le passage de l’étoile au méridien, l’autre auditive, le son du pendule. Cette opération, cependant, serait assez simple, si les sensations étaient simultanées ; mais ce cas ne se présente que très-rarement et par hasard, le battement du pendule ne coïncidant presque jamais avec le passage de l’étoile au méridien. En fait, -voici ce qui se passe :