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sive, de cette philosophie. Non-seulement le goût et l’effort des esprits se portent de préférence sur ces hauts problèmes ; mais encore les questions de philosophie morale ou naturelle, ne sont guère recherchées et traitées que dans leur rapport avec les vérités métaphysiques qu’ils ont surtout à cœur d’établir par tous les moyens possibles. C’est ainsi que Malebranche mêle l’analyse de l’intelligence et de la raison à sa théorie des idées et à sa doctrine théologique sur le verbe, et que Spinoza fait de sa théorie de l’homme une déduction logique de sa définition métaphysique de la substance. Rarement, l’homme est étudié pour lui-même, et sans autre but que de connaître la nature et la portée de ses facultés. Quand ce n’est pas la métaphysique qui inspire et dirige le psychologue et le moraliste, c’est la théologie. Si les sciences de la nature s’affranchissent de toute tutelle métaphysique et théologique, au xviie siècle, la science de l’homme reste encore sous ce double joug.

Non-seulement, les problèmes métaphysiques dominent tous les autres dans la philosophie du xviie siècle ; mais la méthode métaphysique, la spéculation proprement dite, y a la préférence sur les autres méthodes, même en ce qui concerne les questions susceptibles d’être résolues par l’expérience et l’analyse. On spécule sur l’homme et sur la nature encore plus qu’on n’observe et qu’on analyse. On spécule, c’est-à-dire qu’on veut et qu’on croit pouvoir atteindre à priori, sinon les faits et les lois, du moins les principes et les causes. On se croit d’autant mieux fondé à l’espérer qu’on invoque à l’appui de cette méthode certains principes à priori de l’entendement, sous le nom d’idées innées. Le rôle de ces idées a été considérable dans la philosophie du xviie siècle. On en parle sans cesse, comme de principes supérieurs à l’expérience et à la démonstration ; ils y ont l’autorité de véritables axiomes. Ce n’est pas seulement dans les livres de pure métaphysique qu’on la voit figurer ; on la retrouve également dans les traités de logique. Port-Royal en parle avec non moins de confiance que Descartes, Malebranche et Bossuet. Et ce qu’il y a de curieux, c’est que les idées innées sont particulièrement chères à la philosophie nouvelle. L’école de Cassendi, les Jésuites, l’enseignement des écoles les repoussent au nom du principe péripatéticien que toutes nos idées viennent des sens. La vieille philosophie ne se doutait guère que ce principe deviendrait le drapeau de toutes les écoles philosophiques du siècle suivant.

La division des idées en trois classes est comme le fond de la logique cartésienne : idées adventices, idées factices, idées innées. Les premières nous viennent des sens ; les deuxièmes sont de pures