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mystère n’est pas moins essentiel à la religion que la métaphysique. « Une métaphysique sans mystère n’aurait aucune action sur le sentiment religieux. »

Demandons-nous maintenant quelle est la métaphysique du protestantisme. Il évite d’en parler, ayant bien conscience de tout ce qui lui manque sous ce rapport. D’ailleurs, s’il veut être chrétien, il est obligé d’admettre la personnalité de Dieu, la liberté, l’immortalité de l’âme ; et par suite, « si son théisme est sérieux, il est en dehors de la ligne du développement philosophique des dernières années. » Or le déisme antérieur à Kant ne saurait plus se faire accepter de la conscience moderne. « La vieille conception théiste du monde est devenue incompatible avec la conscience moderne, qui n’a plus de choix qu’entre le naturalisme matérialiste à la Strauss, et le monisme ou le panthéisme spiritualiste. » — Le mystère, avons-nous dit, fait partie de l’essence de la religion ; « mais le mystère se trouve aussi peu dans le théisme que dans le matérialisme. » Est-ce la prière qui fournira l’aliment nécessaire au besoin religieux du mystère ? Mais elle n’est plus, pour le protestant libéral, qu’une illusion « dont on a soi-même conscience, mais que cependant il est bon de pratiquer à cause de ses heureux effets psychologiques ; quelque chose comme le juron énergique par lequel un portefaix s’excite lui-même à de nouveaux efforts. »

Le protestantisme libéral n’ayant pas de métaphysique est très-embarrassé pour démontrer sa morale : car sans métaphysique, point de morale. Il cherche volontiers à s’autoriser de l’exemple de Kant ; mais, « si l’on y regarde de près, la raison pratique de ce philosophe a un caractère très-métaphysique par le fait de son universalité. » L’éthique demande le détachement, l’oubli de soi-même. Le théisme, au contraire, confirme l’individu « dans l’illusion de la substantialité, et le provoque à renouveler la révolte de Prométhée contre le créateur, qui l’a créé sans lui en demander la permission. » Le prédicateur protestant se tire de la difficulté en invoquant d’ordinaire l’amour, comme principe moral : mais comment faire reposer la morale sur le fonds essentiellement individuel et mobile du sentiment ?

En résumé, ni la vérité métaphysique, ni le mystère, ni la certitude morale, toutes ces conditions essentielles de la religion, ne se rencontrent dans la doctrine du protestantisme libéral. Un dernier et non moins important élément de la vie religieuse lui fait complétement défaut : je veux dire l’étonnement douloureux de l’âme devant le redoutable problème du mal, le dégoût d’un monde où la souffrance et le péché prédominent, le sentiment pessimiste enfin. C’est ce sentiment qui a donné partout naissance à la religion, et en particulier au christianisme. Le protestantisme, avec sa conception optimiste de la réalité, tarit la source la plus profonde des émotions religieuses.

Dans les deux derniers chapitres du livre, M. de Hartmann insiste sur la nécessité et la possibilité d’un renouvellement religieux. Loin de lui la pensée de vouloir fonder la religion de l’avenir : il se borne à inter-