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tendances orthodoxes ou évangéliques au sein du protestantisme ; le triomphe de l’État sur le catholicisme balaierait ces microscopiques adversaires comme en soufflant on nettoie un vieux bouquin. »

À la lumière de ces considérations générales, nous pouvons entreprendre l’examen historique et l’appréciation critique des diverses tentatives faites par l’exégèse protestante pour accommoder la doctrine chrétienne aux exigences de la culture moderne.

Le protestantisme n’a rompu avec l’interprétation catholique de la foi chrétienne qu’avec le dessein d’en ressaisir la forme primitive dans toute sa pureté. Luther croit retrouver ce véritable christianisme dans l’Évangile de saint Paul. Mais la doctrine paulinienne « n’a absolument rien de commun avec celle de Jésus. » D’ailleurs, le Christ de saint Paul, qui sauve le monde par sa mort des suites du péché originel et de la damnation éternelle, est un défi jeté à la raison et à la conscience de l’homme moderne. On a donc été obligé d’abandonner la doctrine paulino-augustino-luthérienne, et de chercher dans le Nouveau-Testament une autre base pour édifier ce « christianisme moderne », qui doit assurer la conciliation de la religion et du siècle.

Schleiermacher, et, après lui, Schelling, entreprirent de substituer l’évangile de saint Jean à celui de saint Paul. Ils avaient été frappés, avec raison, de la profondeur et de la beauté philosophiques des idées développées par le premier. Mais, moins encore que celle de St. Paul, la doctrine de saint Jean n’est l’expression authentique des idées de Jésus. Et puis elle fait violence, à son tour, à la pensée moderne par son dualisme manichéen qui oppose les enfants de Dieu et ceux du diable, condamnant ces derniers à la damnation éternelle, et surtout par l’affirmation, non moins décidée que chez saint Paul, de la divinité et de la fonction médiatrice de Jésus-Christ.

Le protestantisme libéral dut se résigner à une nouvelle évolution. Oubliant ou supprimant tout le développement ultérieur de l’idée chrétienne, il entreprit de revenir à la doctrine primitive et authentique, à la pure doctrine de Jésus. Mais la vraie doctrine de Jésus, si l’on écarte tous les éléments suspects dont la fausse sentimentalité ou la philosophie humanitaire de certains historiens l’ont enrichie, ne nous découvre en lui qu’un Juif, nourri des enseignements du Talmud, imbu des idées de sa race, et en partageant la foi profonde dans l’avénement social du règne de Dieu, dans la destruction prochaine du monde et la réalisation des promesses messianiques. « Rien n’était plus loin de la pensée de Jésus… que d’être le fondateur d’une nouvelle religion. À l’instar des anciens prophètes, il ne voulait enseigner absolument que le pur judaïsme, publiant en plus que l’accomplissement des promesses nationales de la religion judaïque était proche, se présentant comme le messie attendu, » étendant enfin du peuple juif à l’humanité entière les promesses de la rédemption. Mais Jésus (et le protestantisme libéral n’hésite pas à l’admettre) ne s’est jamais donné pour Dieu. Il ne se regarda d’abord que comme un prophète élu de Dieu, et