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L’HYPOTHÈSE

DE L’ÉNERGIE SPÉCIFIQUE DES NERFS



I


C’est au grand physiologiste Müller qu’est due l’hypothèse que tout nerf a son énergie spécifique, en vertu de laquelle, par exemple, le nerf optique répond toujours aux excitations par des sensations de lumière et rien que par elles, le nerf auditif par des sensations de son et ainsi de suite. Ces sensations ne représentent en aucune manière les qualités des objets extérieurs, mais de simples qualités des nerfs excités.

Comme toute bonne hypothèse, même quand elle est imparfaite, celle-ci a été fertile en résultats, si bien qu’Helmholtz a pu déclarer qu’elle avait été « un progrès d’une importance extraordinaire pour toute la théorie des perceptions sensorielles, et qu’elle était devenue la base d’une théorie scientifique de ces phénomènes[1]. » Elle a été acceptée d’une façon si générale par les physiologistes, — malgré d’énergiques oppositions — qu’un examen critique séparant ce qu’elle contient d’utile de ce qui est erroné, est éminemment désirable.

J’exposerai d’abord l’hypothèse dans les termes mêmes de Müller, d’après la dernière exposition qu’il en a faite. La dernière forme qu’il lui a donnée se trouve dans le traité über die phantastischen Gesichtserscheinungen (1826). Mais une remarque est nécessaire, pour fixer l’attention sur l’équivoque habituelle dans laquelle tombe Müller quand il parle des nerfs comme s’ils étaient seuls le siége des différentes sensations. Cette équivoque est nécessaire à son hypothèse ; autrement il ne pourrait parler « de la condition essentielle des nerfs en vertu de laquelle ils voient de la lumière et entendent des sons ; » parce que si le siége de la sensation était mis dans les centres nerveux ou dans un de ces centres, nous ne pourrions pas plus attribuer la sensation spécifique de la lumière au nerf optique, ou la sensation de son au nerf auditif, que nous ne pouvons attribuer à la roue

  1. Helmholtz. Physiologische Optik. p. 208. Traduct. franç. p. 282 (Masson, 1867).