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gique émettra peut-être l’opinion que nous portons toutes ces idées générales en nous en quelque façon virtuellement, c’est-à-dire en tant que nous sommes des êtres pensants, mais qu’elles ont besoin de se développer de nouveau en nous psychologiquement, absolument comme les perceptions du temps et de l’espace.

La découverte de Kant consiste donc purement en une théorie de la connaissance. Il n’a pas touché aux questions psychologiques qui s’y rattachent. Mais en même temps cette découverte porte en elle, ce qui n’en diminue nullement le mérite, le caractère d’une introduction. En effet, quand on nous a montré ce qui est subjectif dans notre entendement et ce qui ne l’est pas, nous ne connaissons réellement pas encore un seul fait de la nature ou de l’intelligence.

Malheureusement Kant lui-même ne devait pas échapper à un danger, qu’il avait indiqué dans ses antinomies de la raison, à savoir au danger d’attribuer une valeur réelle à des idées qui ont seulement une valeur théorique. En démontrant que des formes subjectives de l’intuition et de la pensée entrent partout dans notre conception de l’univers, il pouvait résumer le résultat de sa critique de la raison en ces termes : nous ne connaissons partout que des phénomènes, mais non pas les choses telles qu’elles peuvent être en elles-mêmes. Ainsi naquit la distinction si importante entre le phénomène et la chose en soi, distinction incontestablement légitime aussi longtemps que l’on reste sur le terrain de la critique de la raison, mais qui ne l’est plus dès que l’on reconnaît à la chose en soi une valeur réelle, en la regardant en quelque façon comme le fondement des phénomènes. Une fois ce dernier pas fait, nous éprouvons naturellement le désir de soulever, par un moyen quelconque, le voile qui nous dérobe cette base cachée des phénomènes : nous espérons y parvenir peut-être par un acte de la connaissance intuitive. Et en effet cela est arrivé à Kant. Il pensait que dans la loi morale se dévoile la nature intime de l’homme, le vrai être en soi, et que de ce point une faible lumière rayonne également sur le fond sombre des idées transcendantes de la raison pure dont l’origine ne peut être démontrée dans le domaine de la connaissance théorique.

L’importance que possède la philosophie pratique de Kant, à cause de la manière décidée dont elle place la grandeur simple de la loi morale au premier plan, ne doit pas nous aveugler sur la faiblesse de cette base. Elle prépare le terrain à un dualisme de l’espèce la plus dangereuse. Ici le règne des phénomènes où l’on interroge partout avec soin les intuitions et les concepts sur leur origine et leur légitimité, là le domaine des choses en soi où toute connaissance devrait cesser et où il nous est cependant permis contre notre attente