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qu’ici un sol favorable ; aussi est-ce, non un Italien, mais un Français depuis longtemps établi à Gênes qui vient, l’année dernière, de s’y déclarer pour elle. L’opuscule de M. Guarin de Vitry est intitulé : Esquisse de sociologie abstraite. Nous l’analyserons brièvement.

L’auteur commence par déterminer en quelques mots l’objet de la sociologie. Les phénomènes sociaux sont, suivant lui, ceux qui sont manifestés par la réunion des hommes en agrégats, et par l’intégration de leurs agrégats élémentaires en systèmes de plus en plus étendus. Les phénomènes analogues présentés par l’animalité sont exclus par cette définition du champ de la science. C’est que les groupements d’animaux n’ont aucun des caractères qui constituent une société véritable. 1o Ils n’ont pas de conscience distincte. 2o Ils n’ont pas de tradition historique. 3o Ils ne sont pas formés par une adhésion volontaire et délibérée de leurs membres. À plus forte raison les autres agrégats de corps naturels sont-ils exclus par la définition. Dans une société digne de ce nom aucune cohésion matérielle n’enchaîne les individus qui la composent ; primitivement isolés, ils gardent dans leur union l’indépendance de leurs mouvements. Ainsi les phénomènes sociaux ont les mêmes limites que les phénomènes humains ; c’est à peine si l’étude des sociétés animales mérite de figurer dans la science comme chapitre préliminaire sous le nom de Présociologie.

Comme la chimie, la science sociale découvre dans les corps qu’elle étudie des éléments irréductibles. L’individu humain est l’atome social. La famille est la molécule primordiale dont les combinaisons constituent la société. Il ne semble pas que l’auteur prenne à la lettre ces termes empruntés à la chimie. Cependant on le voit revenir à plusieurs reprises sur ces assimilations, condamnés par Stuart Mill dans sa Logique. En voici un exemple. La sociologie suppose, dit-il, la connaissance de l’homme au point de vue biologique et au point de vue psychologique. Et il ajoute : « Nous pouvons prévoir dès maintenant la constitution de deux sciences nouvelles qui seront, pour ainsi dire, deux modes supérieurs de chimie : une chimie biologique qui traitera des éléments physiologiques, de leurs propriétés, de leurs combinaisons et de leur morphologie ; une chimie psychologique qui fera la même étude pour les éléments psychiques… Des deux sciences résultera la connaissance spécifique de l’individu, et ainsi il ne paraît pas impossible que dans un avenir éloigné, on arrive à exprimer approximativement le caractère de chacun par une annotation d’un degré supérieur dont les formules de la chimie organique peuvent donner une lointaine idée. » Nous ne voyons pas ce que la sociologie peut trouver de secours dans cette chimie d’un nouveau genre : nous nous demandons surtout ce que l’on gagne à ramener le supérieur à l’inférieur, en appelant combinaison chimique une réunion d’hommes. Mais ce n’est là sans doute qu’une manière de parler, car autrement que deviendrait la caractéristique signalée tout à l’heure ? « Le fait capital, lisons-nous à la page 15, qui se manifeste pour la première fois dans l’organisme social, est le concours d’éléments