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La nature illusoire des rêves est reconnue aujourd’hui presque sans exception, mais on peut se demander quelle pouvait être la condition mentale des sauvages préhistoriques auxquels il arrivait de voir reparaître en rêve des personnages dûment morts et enterrés, sinon même mangés, il semble que la première idée qui dût venir à leur esprit était que quelque chose devait survivre au corps, ayant l’apparence même de ce corps, mais distinct de lui et capable, tandis que ce dernier reposait dans sa tombe ou ailleurs, d’errer dans la nuit, de visiter les personnes que le défunt avait connues, de leur parler, de leur adresser des avis, des prières ou des menaces. De là, l’idée des ombrées chez les anciens et des revenants chez lès modernes. Ce n’est pas encore l’âme immortelle, mais cela ouvre la voie qui y conduit : cet être qui revient en songe n’est pas entièrement mort, peut-être le sera-t-il plus tard, mais il vient d’abord réclamer ce qui lui a été dérobé, implorer une sépulture ou crier vengeance pour quelque crime. De là à croire que cette effigie intangible, qui passe la nuit au travers des portes fermées et ne laisse au réveil aucune trace de son passage, est immatérielle, indépendante du corps, il n’y a qu’un pas : c’est la croyance à la survivance de l’âme et bientôt, la religion et la philosophie aidant, la croyance à son immortalité et à la vie future dans un éden plus ou moins dématérialisé selon le degré de l’évolution mentale.

Je ne veux pas faire crier haro sur moi en ayant l’air d’insinuer qu’il n’y a pas d’autres raisons de croire à l’immortalité de l’âme et à la vie future ; je sais qu’il en est et je ne discute pas si elles sont meilleures ou pires, mais ce que je dis, c’est que l’origine de pareilles croyances peut bien être dans le rêve qui, le premier, aurait fourni à des intelligences barbares une notion positive, concrète, sur laquelle elles pussent s’appuyer.

Les croyances aux revenants, à l’immortalité de l’âme et à la vie future sont cousines germaines, bien que celles-ci soient plus évoluées, plus affinées que celles-là.

D’ailleurs cette idée ne m’appartient pas, bien que je Paie conçue indépendamment, et antérieurement à mes lectures sur ce thème. Déjà Hervey de Saint-Denis l’avait aperçue : il dit en effet p. 308 :

« On trouve chez les philosophes et chez les poètes orientaux des passages relatifs à l’idée d’une existence antérieure qui me parais-