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le bernera à l’occasion, en escomptant sa faiblesse nostalgique et le bénéfice du proverbe : « On revient toujours à ses anciennes amours. » Calcul qui n’est pas infaillible, d’ailleurs, en raison même de la formule psychique du nostalgique. En effet sa mémoire affective est tenace pour les mauvais souvenirs comme pour les autres. Dans l’action, le nostalgique est un rêvasseur sans volonté, victime de cette tare psychique que nous avons appelée l’irrésolution rétrospective. Malheur à celui qui parle au conditionnel : « si j’avais fait ceci, si j’avais fait cela… ». Celui qui est promis au succès, le futur maître de l’heure, c’est celui qui parle à l’impératif. — D’une manière générale, les sentiments nostalgiques sont stériles, asthéniques. La nostalgie est mère de la tristesse et de la déception. « II est souverainement maladroit, dit un romancier, de vouloir revivre les heures écoulées, attendu que sur les choses éteintes il passe un vent froid, plein de tristesse[1]… » La nostalgie exclu la fraîcheur d’âme, exclut la candeur, « cette qualité d’une âme qui ne fait aucun retour sur elle-même[2] ». La rétrospection est volontiers malsaine. « L’homme sain, a-t-on dit, ne sait même pas qu’il a une âme. » Les vedettes, sur la grande scène du succès, ne sont jamais des nostalgiques. Les âmes nostalgiques ne peuvent être des intelligences au droit fil du temps ; ce sont des intelligences attardées, celles dont Chateaubriand, — un nostalgique, s’il en fut, — dénonce la tare incurable, « la manie du passé ». — Nostalgie ! forme de vie déclinante et humiliée, tu condamnes ceux que tu as séduits à l’insuccès et à la mort lente ! Fée mélancolique, malheur à celui que tu as touché de ta baguette malfaisante ! Plus d’un t’a maudite sans cesser de t’aimer et de te suivre et l’on conçoit l’anathème qu’ont jeté sur toi les Futuristes.


Un problème se poserait ici : La Nostalgie est-elle curable ? Le nostalgique peut-il cesser de l’être ? Y-a-t-il pour lui un Léthé sauveur ? — Ceci rentre dans le problème général de la mutabilité du caractère. — Un tel problème était digne de tenter l’ingéniosité d’un fin observateur de la nature morale. M. A. Gide l’a traité dans

  1. R. Kypling, La Lumière qui s’éteint.
  2. Stendhal, De l’Amour.