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naturellement en revendications nostalgiques ; telle la prétention du germanisme à s’annexer tous les peuples de langue et soi-disant de souche allemande. — Et l’on pourrait distinguer encore une nostalgie spontanée, celle des cœurs tendres et des âmes naïves et une nostalgie apprise, bovaryque, imitée de modèles littéraires ; tel Chateaubriand s’éprenant, sur la lecture des Mémoires de Bassompierre, d’une courtisane du xvie siècle, contemporaine de Henri IV et revivant poétiquement l’aventure d’amour du vieux maréchal ; tel Frédéric Moreau s’éprenant de Mme Arnoux par ce qu’elle lui rappelle les héroïnes romantiques ; tel le Jean Servien de M. Anatole France, qui, la tête pleine d’images de châtelaines moyenâgeuses ou d’héroïnes du théâtre classique, reste inattentif aux avances d’une petite ouvrière parisienne. Il y aurait lieu enfin de distinguer une nostalgie ou récurrence normale, répondant aux exigences de la vie d’adaptation et respectant l’économie générale de nos facultés affectives ; une nostalgie morbide et une nostalgie supra-normale, celle qui se révèle dans les œuvres des grands penseurs, des grands poètes qui ont retrouvé et exprimé les grands rythmes de la vie universelle…

Il y aurait lieu de dire un mot des illusions nostalgiques. La nostalgie ayant pour principe une forme exaltée et passionnée de la mémoire affective, les illusions nostalgiques tiennent en grande partie à des paramnésies portant sur cette mémoire spéciale. — Il y a d’abord une cause générale d’illusion qui n’est autre que le recul dans le passé, le phantasme de la distance et du souvenir. « À la distance où je suis maintenant de leur apparition, dit Chateaubriand, il me semble que descendu aux enfers dans ma jeunesse, j’ai un souvenir confus des larves que j’entrevis errantes au bord du Cocyte ; elles complètent les songes variés de ma vie et viennent se faire inscrire sur mes tablettes d’outre-tombe[1]. » Dans le cours d’une vie, les souvenirs chevauchent les uns sur les autres et confondent les nuances affectives qui ont coloré les âges divers de la vie. « Ces Mémoires, dit encore Chateaubriand, ont été composés à différentes dates et en différents pays. De là des pro-

  1. Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, t. I, p. 805.