Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 81.djvu/343

Cette page n’a pas encore été corrigée

rétrospective et rétroactive ; phénomène très particulier et auquel sont sujettes certaines natures. Il consiste à revenir indéfiniment après coup sur les décisions prises, même exécutées, et donc irrévocables. Chez les personnes sujettes à ce travers sentimental, la mémoire affective se représente très vivement après coup les motifs d’agir dans le sens opposé à celui dans lequel on a effectivement agi. Une des conditions d’une bonne conscience, autrement dit, d’une bonne santé morale, c’est l’élimination rapide et aussi complète que possible des images devenues inutiles. Autrement, ces résidus, ces déchets du passé restent comme un poids mort et reviennent hors de propos embrouiller nos pensées. La persistance intempestive et l’encombrement des souvenirs affectifs est un obstacle au fonctionnement normal de la volonté comme des autres facultés. Chez le nostalgique, chez le sentimental, la désassimilation psychologique ne se fait pas normalement. Les images éliminées dans la délibération n’ont pas disparu complètement de la conscience ; elles restent là et continuent d’agir hors de propos ; d’où des retours de la volonté en arrière, regrets, repentir, efforts désespérés pour rattraper l’acte, impuissance à prendre son parti de l’irrévocable, à passer l’éponge sur le passé ; troubles qui agitent et torturent les âmes faibles et que Dante aurait pu décrire comme un des supplices de son Enfer. Ce trait est très sensible dans le caractère d’Adolphe et aussi dans le Journal intime de Benjamin Constant, type frappant de nostalgique sentimental.



De l’examen de ces quelques états nostalgiques ou rétrospectifs nous pouvons essayer de tirer une définition générale de la nostalgie. Nous proposons la suivante : La nostalgie est une forme exaltée et passionnée de la mémoire affective. Dans un de ses Contes Cruels intitulé Sentimentalisme, Villiers de l’Isle-Adam définit cette qualité spéciale des facultés affectives qui distingue, selon lui, les natures supérieures, ceux qu’il appelle les aristocrates du sentiment, auxquels un observateur superficiel serait tenté de reprocher leur froideur apparente et leur rareté de gestes comme une marque d’insensibilité. « Nous ressentons, fait-il dire à un de ses personnages, nous ressentons les sensations ordinaires avec autant