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ainsi entendue est immense. Ce n’est rien moins que toute cette psychologie récurrente, rétrospective, dont nous parlions plus haut.



Les états nostalgiques sont des états passionnés. Tantôt une obsession nous les impose ; tantôt une secrète complaisance de l’ârne nous les rend chers et nous en fait savourer la douceur, même amère. La liste de ces états serait longue. Le Rêve, la Rêverie nous introduisent d’abord dans ce monde silencieux de la nostalgie. En particulier, ces rêves qu’on pourrait appeler récurrents et qui nous ramènent vers un stade antérieur de notre existence. Chacun de nous, s’il a quelque habitude de l’analyse mentale, pourrait accuser de telles rétrospections. M. Raymond Meunier, dans un charmant petit livre intitulé Les Rêveurs, parle de ses rêves familiers qu’il range en deux catégories : rêves de cathédrales et rêves de jardins ; rêves de nature essentiellement affective, enveloppés d’une atmosphère de sentiments spéciaux, qui sont, dans le premier cas, des sentiments de bonheur grave, de respect, d’admiration et d’enthousiasme, dans le second, un sentiment contenu d’enchantement et de douce admiration pour ces sites aimables, avec un sentiment d’espoir et de joie. Pour moi, si j’interroge ma vie onirique, j’y retrouve aussi des rêves de jardins (le jardin aux allées d’un vert profond où je jouais dans ma petite enfance), et aussi des rêves de forêts (une forêt ardennaise, la première que j’ai vue tout enfant, par une matinée printanière, toute ruisselante de rosée et baignée de lumière verte, où je me croyais délicieusement séparé du reste du monde et perdu à jamais). D’autres rêves familiers évoquent chez moi les vieux remparts d’une petite ville du Nord, avec ses glacis et ses bastions noyés de brume automnale et traversés de mélancoliques sonneries de clairons, le tout empreint d’une tristesse indicible et insupportable. C’est une réminiscence des après-midi du jeudi, quand on nous menait de la pension jouer sur les glacis où il y avait une école de clairons ; heures pour moi d’un morne ennui. C’est sur ces paysages d’enfance que plus tard, aux divers âges de la vie, mon imagination inquiète a versé les visions riantes ou angoissées, les songes heureux ou les cauchemars que faisaient éclore en elle les passions du moment et les vicissitudes de l’heure. M. R. Meunier