tions sombres ou lumineuses, menaçantes ou consolatrices, de l’individu, de la race, de l’espèce ; hâte de vivre, de saisir l’instant qui fuit ; et aussi besoin de ne plus se souvenir, rupture avec le passé, joie de s’abstraire du passé, joie du reniement du passé, amour du nouveau, de l’imprévu, de l’inédit ; apothéose de la vitesse, du devenir, de la mobilité, de la métamorphose ; insouciance futuriste, hymne à l’oubli libérateur.
À cette dualité psychologique correspondent dans les âmes des alternances de direction ; des changements de sens et de signe. — Parmi les rythmes de la vie, il en est qui nous reportent en arrière ; d’autres qui nous lancent en avant ; et bien que ces deux rythmes se pénètrent et se recouvrent parfois d’étrange façon, il y a des moments et aussi des âmes où l’un prend décidément le dessus. Et l’on distinguera ainsi deux types psychologiques : un type nostalgique ou récurrent ou passéiste, et un type futuriste. — Ce dernier pourrait être symbolisé par l’Explorateur du Temps, de Wells[1], qui, emporté par sa course vertigineuse sur la ligne du futur, à travers le battement d’ailes des jours et des nuits, à travers le sillon fantastique des orbes lunaires, solaires, stellaires, dévore les années, les lustres, les siècles, les millénaires, les millions d’années, comme d’autres dévorent les kilomètres. Voyageur
- ↑ Il n’est pas sans intérêt de remarquer que le germe de cette curieuse métapsychie du Temps se trouve peut-être, chez Carlyle, dans l’apologue du Chapeau de Fortunatus. « Fortunatus avait un Chapeau enchanté, qui, lorsqu’il le mettait et souhaitait d’être quelque part, aussitôt l’y faisait être. De cette façon, Fortunatus avait triomphé de l’Espace, annihilé l’Espace ; pour lui, aucun Lieu n’existait plus, mais tout était Ici. » — Carlyle imagine un Chapeau de Fortunatus qui au lieu de supprimer l’Espace, supprimerait le Temps et permettrait à son propriétaire de se transporter à volonté à n’importe quelle époque. « Dussé-je y dépenser mes derniers groschen, je ferais l’emplette des deux chapeaux, mais surtout du dernier. Enfoncer son feutre, et, sur le simple souhait d’être quelque part, y être aussitôt ! Puis enfoncer son autre feutre, et, sur le simple souhait d’être à quelque instant, être alors aussitôt ! Ceci serait certes le plus beau : s’élancera volonté de la Création-de-Feu du Monde jusqu’à sa Consommation-de-Feu ; ici, historiquement présent dans le 1er siècle, converser face à face avec Paul et Sénèque ; là, prophétiquement présent dans le xxxie siècle, converser face à face avec les autres Pauls et les autres Sénèques, qui sont encore cachés dans la profondeur de ces Temps avancés ! »
« Pensez-vous donc que cela serait impossible, inimaginable ? Le Passé est-il annihilé, ou seulement passé ; le Futur n’existe-t-il pas, ou est-il seulement futur ! Ces mystiques facultés qui sont les nôtres, la Mémoire et l’Espoir, déjà répondent : déjà par ces mystiques avenues, toi, le fils aveugle de la terre, tu évoques à la fois le Passé et le Futur, et tu communies avec eux, bien qu’obscurément encore, et par signes muets. La toile tombe sur Hier, se lève sur Demain ; mais Hier et Demain tous les deux à la fois sont. » (Carlyle, Sartor resartus, p. 299 : édition du Mercure de France.)