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un dément ou un obsédé parfaitement vivant qui va sucer des vivants ou plutôt se repaître du cadavre des morts.

On pourrait se demander s’il ne se passe pas quelque chose d’analogue pour les détraqués qui ont été surpris s’introduisant la nuit dans les cimetières non pour voler des bijoux, ce qui ne comporte aucun dérangement de l'esprit, ni pour dévorer des cadavres, fait qui sans doute ne se présente plus de nos jours si tant est qu’il ait jamais existé, mais pour se livrer sur eux à des actes obscènes. N’y aurait-il pas ici soit une combinaison de rêve et de somnambulisme, comme le suggère Nodier dans Le Vampirisme, soit une simple auto-suggestion par le rêve d’actes dont l’idée s’insinue dans un esprit malade et qui paraissent dans le rêve parce qu’elles sont repoussées à l’état de veille.

Le vampirisme n’est pas le seul phénomène par lequel se puisse traduire l’influence des rêves sur la vie éveillée. En dehors de ces faits odieux et horribles, on trouverait sans doute dans des rêves, si l’on cherchait assidûment de ce côté, l’explication de certains actes auxquels leurs auteurs se sont sentis poussés comme par une force mystérieuse. Nodier semble bien avoir entrevu ces choses quand il émet l’idée suivante qu’il ne fonde sur aucune observation mais qui est hautement suggestive et paraît bien d’accord avec les règles de la plus saine psychologie. D’après lui les actes que l’on répète fréquemment en rêve sollicitent le rêveur à les accomplir dans la vie éveillée. Par là, le rêve donnerait naissance à la manie : c’est en lui que toute folie aurait ses racines. D’autre part, toujours selon Nodier, le rêve a une force communicative, nous dirions aujourd’hui une puissance de suggestion, par suite de laquelle ses effets s’étendent de proche en proche parmi ceux qui ont entre eux des relations journalières ; et par là cette folie peut devenir épidémique.

Il y aurait là à ce qu’il nous semble toute une étude à faire, digne de tenter aussi bien le moraliste que le psychologue. Pour bien marquer de quoi il s’agit, je demande en l’absence d’observations vraies que je n’ai pas en ce moment sous la main, la permission de faire appel encore une fois à un romancier, Guy de Maupassant, dans la nouvelle intitulée Magnétisme. L’auteur met en scène un sceptique contant à un groupe d’amis un rêve qui a eu sur sa vie une étrange influence. Avant de se coucher, il a d’abord à sa