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riques. Le savoir empirique et l’abstraction philosophique doivent par cette raison être toujours en rapport réciproque. »

Il rejette l’a priori de Kant comme un procédé métaphysique, et si on se tient dans les limites de cette interprétation, les conceptions à priori comme les idées innées doivent être éliminées de la philosophie réaliste ; mais l’a priori par lui-même, croyons-nous, dans le sens psychologique, ne désigne que la série des conceptions pour ainsi dire héréditaires de notre organisme ; on pourrait même chercher la genèse de l’a priori dans l’évolution naturelle des impressions primitives, dans leur association et leur superposition. L’a priori est un capital de réserve ; mais pour penser et travailler, il est nécessaire d’accumuler des notions à posteriori : la science empirique est la source féconde du savoir.

M. Lessewitsch a traité la question de la causalité avec beaucoup de précision. La causalité, d’après lui, est une conception abstraite et non la représentation d’une réalité concrète. Nous pouvons nous représenter que deux phénomènes qui se suivent se lient dans notre conception arbitraire, l’une comme cause, l’autre comme effet. Il réfute avec justesse l’erreur des positivistes qui confondent la définition de la loi avec celle de la causalité. « La loi, dit M. Lessewitsch, n’exprime que l’idée d’une série de faits homogènes qui, empiriquement, sont rangés d’après des relations données ; il n’y a pas ici lieu à chercher l’inconnu, la cause — par le connu — la loi ; l’idée de cause au contraire engendre une théorie d’abord hypothétique, qui devient plus tard une vérité, quand elle est appuyée par une série de lois qui logiquement nécessitent l’acceptation de l’hypothèse primitive.

Une fois en possession de la cause, nous suivons dans l’explication des phénomènes une direction opposée à la première, c’est-à-dire notre point de départ, le connu, est ici la causalité et non la loi, — et nous donnons une explication raisonnée du phénomène qu’un ignorant ne saurait comprendre. — Ces conceptions, selon M. Lessewitsch, sont abstraites et n’ont pas de corrélatif dans la réalité. Aussi est-ce une erreur de parler de la découverte d’une loi, comme de celle d’une île ou d’une planète ; car le code des lois de la nature n’est pas l’essence du cosmos, qui lui serait subjugué despotiquement, c’est notre raison qui fait cette codification des phénomènes, qui se présentent à notre entendement dans des rapports réciproques. Nous voilà arrivés à la nécessité de fonder la critique philosophique sur l’individualisme anthropomorphique, pour expliquer l’ensemble de nos conceptions cosmologiques et pour éviter tout dogmatisme dangereux à la vraie philosophie.

M. Lessewitsch se déclare avec beaucoup de raison pour la réciprocité et la simultanéité des deux agents du savoir : du sujet pensant et de l’objet représenté. Il nie donc en même temps et l’idéalisme subjectif et le réalisme naïf du matérialiste, qui accorde une objectivité réelle à chaque impression phénoménale.

Pour M. Lessewitsch, le but suprême de la philosophie, c’est de