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cérébral, lequel dans tous les cas, ainsi que l’attestent les phrases des malades et ma propre observation, est permanent et se manifeste identique. Par suite de cette apparence de rupture entre les sensations périphériques et le moi cérébral il se produit un phénomène intellectuel d’association et de croyance, pur phénomène subjectif, où le moi cérébral ne reconnaît plus comme sien le corps, comme siennes les sensations périphériques, partant croit être un autre ou n’être plus, non lui en tant que moi cérébral mais en tant que groupe des sensations périphériques. La conscience est modifiée dans sa forme périphérique. La preuve que le moi cérébral est toujours là comme phénomène permanent de la conscience, c’est qu’il rectifie par un acte de réminiscence les illusions ou les erreurs de l’association.

Dans le numéro d’octobre de la même année M. Herzen, continuant la pensée de M. Taine, la développe par des considérations et des remarques générales (374 à 381). Les principales affirmations de cet article sont celles-ci : dans les violentes impressions physiques ou morales nous perdons momentanément la conscience du moi ; il en est de même dans les grandes réflexions et dans toutes les conditions où l’attention est fortement attirée au dehors ; le moi devient un autre et se transforme avec les sensations dans différentes circonstances de la vie, particulièrement au passage de l’enfance à la puberté, de l’adolescence à l’âge mûr, de celui-ci à la vieillesse ; enfin le nouveau-né n’a pas la conscience du moi et il ne localise pas ses sensations ; d’où l’auteur conclut : le moi est la cénesthésie dans les moments où elle n’est pas impersonnelle ; sa continuité et son unité, toutes deux fort relatives, sont dues exclusivement à la mémoire.

Je terminerai cet article par l’exposition de quelques faits, dont les conclusions me paraissent plus en rapport avec celles de mes deux observations qu’avec celles de M. Herzen. — 1° Quand notre attention est vivement surexcitée par quelque phénomène extérieur il est certain qu’à ce moment la conscience du moi cérébral n’a pas une grande intensité, mais à quelque minimum qu’elle descende elle ne cesse pas d’être : les jugements divers que l’on forme à cette occasion, les sentiments qu’on éprouve, l’attention elle-même sont autant de manifestations personnelles qui impliquent, au moins dans sa forme sensitive, la conscience du moi à localisation cérébrale. Nous découvrons par l’analyse psychologique que le maximum de l’attention extérieure coïncide avec le minimum de l’attention intérieure et réciproquement, ou encore que la conscience en prédominance objective et la conscience en prédominance subjective sont en antagonisme de développement, sans que l’une détruise l’autre : je n’en veux pour preuve que l’effort que nous sommes obligé de faire pour nous maintenir méthodiquement en une telle situation de prédominance objective, effort dont la sensation nous rappelle incessamment à la conscience cérébrale du moi. Les conditions particulières citées par M. Herzen sont en réalité des conditions où la conscience est naturellement placée en forme analytique ; or c’est