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ANALYSES. — flügel.Die Probleme der Philosophie.

non pas aussi naïve que le donnerait à penser M. Flügel. Descartes, il est vrai, n’admettait pas que la communication de l’âme et du corps fût chose comparable aux mouvements de l’un ou aux actes de l’autre. Elle n’en était pas moins réelle et intime à ses yeux ; peu de philosophes ont mieux senti l’unité substantielle de l’homme. Seulement d’après lui, elle n’est point objet d’entendement ni de perception, mais de, sensation. La vie ne se définit pas, ne s’explique pas ; on l’éprouve, on la sent en soi. Ici comme en bien d’autres cas, Descartes ébauche la pensée que devait achever Kant.

Dans la Philosophie pratique, la question capitale est celle-ci : Qu’est-ce qui est bon ? Selon Kant, dit M. Flügel, la bonté d’une volonté ne dépend nullement de son objet, mais de sa forme. Une volonté est bonne, quand sa maxime est générale. Et pourquoi cela ? parce qu’alors cette maxime est conforme à la raison. Mais cette théorie suppose 1° qu’il existe quelque relation, pour les maximes, entre la généralité et la moralité ; 2° que la raison est une faculté supérieure, puisqu’il est bon de lui obéir ; 3° qu’elle peut donner des lois à la volonté, et celle-ci les suivre, que l’homme peut être son législateur, son maître : c’est faire reposer la morale sur la possibilité de la liberté. Tels sont les trois points sur lesquels Kant ne donne pas satisfaction à M. Flügel.

La faute en est-elle à Kant ? Sur le premier point, il est clair qu’en effet, toute loi ayant pour essence d’être générale et sans exception, la loi des êtres moraux, s’il en est une, doit être égale pour tous, et ne faire point d’acception de personnes. C’est pour cela même que cette loi est rationnelle, pour cela aussi que toute maxime, pour s’y conformer, doit être générale et pouvoir s’appliquer à tous les sujets. Enfin on sait bien que jamais Kant n’a prétendu fonder la morale sur le postulat de la liberté. Son point de départ est l’idée de la Loi Morale. Quiconque entend le mot devoir, sait aussi qu’il y a un devoir, puisque même le premier devoir est de croire qu’il y a un devoir ; et c’est déjà l’enfreindre, que de le révoquer en doute. C’est là, je crois, le principe de la morale Kantienne ; et c’est un vrai principe, évident, indémontrable, et qu’il ne faut même pas tenter de démontrer : Demander une démonstration du devoir, vouloir que le bien se justifie, c’est avoir perdu, ou le sens des mots, ou le sens moral. C’est sur cette base, et avec l’aide de l’axiome : Ce que je dois, je le puis, que le philosophe allemand établit la croyance à la liberté. — Flügel, au reste, paraît rendre justice à Kant sur ce point, dans un autre chapitre : La croyance à la liberté, dit-il, est fondée sur les faits suivants : 1° nous édictons nous-mêmes, et pour nous-mêmes, des préceptes de conduite ; 2° nous nous blâmons ou nous applaudissons, selon que nous y avons obéi ou désobéi ; 3° celui qui commande et celui qui obéit, celui qui juge et celui qui est jugé, ne font qu’un seul être. C’est, poursuit-il, ce qu’a bien démontré Kant. Et à cet égard, il l’oppose à Platon et aux Jésuites, qui ont compromis la liberté humaine, en enlevant à l’homme ce droit d’obéir à ses propres maximes et à celles-là seules : Platon, quand il remit aux chefs de