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d’agir : d’abord les penchants naturels, qui deviennent conscients grâce au sentiment qui les accompagne, sont acceptés par l’entendement et satisfaits avec réflexion ; viennent en second lieu les décisions propres de l’entendement, qui échappent à l’influence de la volonté. Il s’agit d’éloigner l’erreur de la pensée, ce qui peut s’obtenir par une méthode vraiment scientifique, et d’émanciper ainsi l’intelligence du joug de la volonté. Cet affranchissement n’est pas borné à la connaissance théorique, il faut l’étendre à la vie pratique. Grâce à l’habitude et à l’exercice, la nature originelle est transformée, une autre nature est créée, dans laquelle l’entendement domine la volonté. Ce rapport se montre seulement dans l’action, et ne peut être encore l’objet de notre recherche.

La liberté (Die Freiheit). — Le tort de la psychologie, jusqu’ici, a été de ne pas distinguer la volonté de l’action. Cette distinction est pourtant évidente : le vouloir est un phénomène purement subjectif, purement intérieur, l’agir (das Handeln) est un phénomène objectif, accompli par des moyens extérieurs. C’est une préoccupation morale qui a fortifié cette erreur : on impute seulement les actions qui viennent de la volonté ; réciproquement, dit-on : ce. qui n’est pas imputé, c’est-à-dire ce qui ne vient pas de la volonté, n’est pas une action. Au lieu de rester dans le domaine de la pensée, où le concept de possibilité a son application, on passe dans le domaine de la réalité, où un seul fait est possible, parce que, dans tous les cas, il n’y a jamais qu’un seul fait qui se présente et qui soit observé. Il faut maintenir la distinction entre l’action et la volonté ou les causes subjectives d’agir ; y renoncer, c’est se condamner à l’erreur, car il s’agit ici de concepts qui n’ont de sens qu’appliqués au domaine subjectif de la pensée.

« Conformément à sa nature, la volonté s’efforce d’atteindre des objets déterminés, et en ce sens elle dépend d’eux. On ne peut donc se demander si la volonté est libre en tant qu’elle poursuit des fins objectives, dont elle est esclave ; si la liberté peut être cherchée, ce n’est que dans le domaine subjectif. Au plus bas degré, le sujet est absolument dans la dépendance de la volonté, qui domine exclusivement. La volonté pousse à l’action, et comme elle dépend des objets qu’elle poursuit, c’est l’esclavage (vollige Unfreiheit). Le sujet n’en a pas moins l’illusion d’être libre parce qu’il est convaincu qu’il n’est empêché par aucune circonstance extérieure ou intérieure de faire ce qui lui plaît. Il commence à s’apercevoir qu’il se trompe quand l’entendement s’affranchit. Il sent alors qu’il est dans la dépendance et des objets extérieurs et des idées de l’entendement. Le sujet (comme) voulant n’est pas libre à cause de l’entendement, le sujet (comme) pensant n’est pas libre à cause de la volonté, l’individu se sent deux fois esclave. Tandis que la volonté livrée à elle « même court toujours à l’action, la fonction de l’entendement est ordinairement d’arrêter l’élan de la volonté. L’entendement, peu à peu, agit comme cause prochaine d’actions, qui ont la volonté comme