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ANALYSES. — gœring.Ueber die menschliche Freiheit.

la liberté ? Le concret comme l’abstrait, l’animé comme l’inanimé, le vivant comme le mort, y participent. Sur les montagnes, sur la mer règne la liberté ; l’aigle dans les airs, l’homme même dans les chaînes, le prince absolu sont libres ; le pouls est libre de la fièvre, le ministère d’interpellations, la marchandise de vices rédhibitoires, le fleuve de glace, la caisse de fausse monnaie, etc… » Ce qui se dégage de ces expressions si diverses, c’est que par le mot liberté on entend quelque chose d’exclusivement négatif : l’absence de contrainte, de pression, de nécessité. La science n’est possible que si, à un même mot, répond toujours une même idée. Nous devons donc rejeter toute signification positive du mot liberté. Ce qui explique qu’on ait confondu la liberté négative, c’est-à-dire l’absence de contrainte avec la capacité réelle et positive, c’est qu’on s’est inquiété seulement de savoir si l’homme était libre de vouloir telle ou telle chose. La vraie méthode exige qu’au lieu de se préoccuper uniquement d’un cas particulier, on détermine d’abord, dans toute sa généralité, le concept de liberté, pour y « subsumer » ensuite la liberté du vouloir. Ce qui a contribué à fortifier l’erreur que nous signalons, c’est la confusion des mots pouvoir (können) et liberté. Le terme pouvoir contient deux idées : 1° l’absence de tout obstacle ; 2° la puissance réelle d’accomplir l’acte. La confusion de ces deux idées amène la confusion de la liberté négative et de la capacité positive. On n’est pas toujours en état de faire réellement ce qu’on a la liberté de faire. Bien des hommes ont la liberté de lire Homère dans le texte, ils n’en ont pas la capacité.

Le résultat de cette recherche, c’est que la liberté n’est pas autre chose que l’absence de contrainte, ou logiquement « l’opposé contradictoire de la nécessité. » Ce qui est vrai du concept général de liberté est vrai de la liberté de choisir (Wahlfreiheit). Chacun a la liberté du choix entre la philosophie de Hegel et la philosophie de Schopenhauer, sans en avoir pour cela la capacité. La liberté du choix appartient à tous, la capacité s’acquiert péniblement.

Le concept de nécessité (Der Begriff der Nothwendigkeit). — « L’homme crée des puissances objectives pour les craindre et les adorer. » La nécessité n’est-elle pas un de ces fantômes ? L’homme a une tendance naturelle à se projeter dans les choses extérieures, et il est souvent dupe de cet anthropomorphisme, lors même qu’il croit s’en être affranchi. L’application universelle du concept de nécessité n’est-elle pas encore une forme de cet instinct bien plutôt qu’une conclusion légitime, conforme à la méthode scientifique ? Auguste Comte a distingué trois états théoriques différents : l’état théologique ou fictif, l’état métaphysique ou abstrait, l’état scientifique ou positif. Quelles que soient les critiques de détail qu’on puisse opposer à cette théorie profonde, il faut en retenir que dans les deux premières époques on cherche avant tout à expliquer, à rendre les choses intelligibles[1]

  1. L’opposition entre das Wissen etdas Begreifen est très-claire en allemand. En Français das Wiasen peut se traduire exactement par « la science posi-