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encore si peu connues des Égyptiens, des Perses, des Germains et des Celtes, voire même des Chinois et des Indiens. M. Fabre n’a d’ailleurs longuement insisté, dans la première partie de son livre, que sur les religions de l’Inde : le Védisme, le Brahmanisme et le Bouddhisme et sur la morale de Confucius. Ce sont là des études nourries de citations et fertiles en enseignements moraux. L’auteur a particulièrement bien mis en lumière le rôle et l’influence du Bouddha : il était difficile d’être plus complet sur cet intéressant sujet en aussi peu de pages.

Comme nous l’avons dit plus haut, la philosophie grecque est exposée beaucoup trop rapidement : les appréciations ne sont pas assez motivées, mais en général elles sont justes, dans leur brièveté laconique. Il nous semble seulement que l’auteur a été trop dur pour les premiers stoïciens. Il ne nous paraît pas, quoi qu’on en dise, que Zénon ait visé à tuer le cœur en nous : il a voulu le régler en le soumettant à la raison et il est très-facile de justifier ses paradoxes sur l’égalité des vices et des vertus, sur l’infaillibilité du sage, en distinguant la vertu idéale qui ne saurait connaître aucune défaillance et qui ne peut être, comme absolue et parfaite, qu’égale à elle-même, d’avec la pratique ordinaire du devoir dans le milieu où l’homme doit lutter contre toutes les hérédités et solidarités dont il lui est impossible de s’affranchir complètement. Est-ce que les stoïciens ne disaient pas que ni Socrate, ni Zénon lui-même n’avaient réalisé l’idéal du sage ?

D’ordinaire, les historiens et les philosophes ne s’étendent guère sur les philosophes romains. M. Fabre leur consacre un de ses plus longs et de ses meilleurs chapitres. Ce n’est pas qu’il leur accorde un génie spéculatif qui leur a fait par trop défaut : ce qui le séduit en eux, c’est la direction pratique qu’ils ont donnée à l’enseignement philosophique. Nous aurions de fortes réserves à faire sur les quelques lignes dédaigneuses dont il accable Sénèque : mais c’est avec un vif intérêt qu’on lira ses belles études sur Épictète et sur Marc Aurèle. Ce sont là deux morceaux achevés pour la lucidité et l’ampleur de l’exposition comme pour la chaleur du style.

Plus on avance dans la lecture du livre de M. Fabre et plus l’on s’y attache. La partie la plus instructive et la plus neuve est celle qui traite de la philosophie gréco-orientale, c’est-à-dire des écoles juives, de l’école d’Alexandrie, de l’éclectisme religieux dans le monde romain, et de la philosophie chrétienne. L’auteur peut se rendre le témoignage qu’il aura aidé pour sa bonne part à faire bien comprendre l’évolution intellectuelle et morale qui sert de transition entre le monde païen et le monde chrétien. Le christianisme n’a pas formé son dogme tout d’une pièce : pour suivre son progrès métaphysique, il faut remonter jusqu’à Philon, « père des Pères de l’Église, » comme l’appelle si justement M. Fabre, et Philon lui-même doit être replacé dans le milieu qui a produit le Talmud et la Kabbale. En général, ces sujets sont corn-