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REGNAUD. — ÉTUDES DE PHILOSOPHIE INDIENNE

Brahma-Sûtras et par son commentateur Çankara, mais surtout par Sadânanda, l’auteur du Vedânta-Sâra.

§ II. — L’être dans les Brahma-Sûtras et dans, le commentaire de Çankara.

Dans les Brahma-Sûtras la nature de l’être, ou de Brahma, est surtout exposée contradictoirement à celle du pradhâna ou de la nature agissant par elle-même, telle que la concevaient les adhérents du système Sâmkhya. C’est principalement de cette polémique que ressort la notion des attributs positifs de l’être, selon les idées des védântins.

Toutefois le sûtra 1, 1, 2, établit directement et d’une manière indépendante la principale faculté de l’être, — le pouvoir créateur. C’est de lui (de Brahma, de l’être), y est-il dit, que provient l’origine, etc. de cet univers[1]. D’après Çankara il faut entendre par le mot etc. (âdi) la conservation et la destruction du monde[2], qui font aussi partie des fonctions de Brahma.

Dans son commentaire sur le même sûtra, Çankara va nous faire connaître encore d’autres attributs qu’implique l’idée de Brahma. Il est omniscient, tout-puissant et cause (de toutes choses)[3].

Le sûtra 1, 1, 5, qui est conçu en ces termes, îkshater nâçabdam, et qui signifie d’après Çankara : « Il n’est pas possible d’appuyer sur les préceptes du Vedânta la conception de la nature inintelligente (pradhânam acetanam), considérée comme cause du monde dans le système Sâmkhya, car cette conception est contraire aux autorités ; le texte sacré disant que la cause du monde est douée de la faculté de voir (ou de comprendre)[4], établit implicitement que cette même faculté et, par conséquent, l’intelligence qu’elle suppose et l’omniscience qui en découle appartiennent à Brahma. La nature inintelligente ou inconsciente ne saurait au contraire être omnisciente, et Çankara dans son commentaire le prouve, non pas en disant simplement que ces deux qualités s’excluent et que l’omniscience ne saurait exister qu’avec l’intelligence, mais il a recours au raisonnement suivant. La nature, telle qu’on la suppose dans le.Sâmkhya, com-

  1. Janmâdy asya yata iti.
  2. Asya jagatah janmasthitibhangam.
  3. Yatah sarvajñàt sarvaçakteh kàranàd bhavati tad brahma.
  4. Na sâmkhyaparikalpitam acetanam pradhânam jagatah kàranam çakyam vedânteshv âçrayitum. Acabdam hi tat. Katham açabdam, îkshateh îkshitrtvaçravanât kâranasya.