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LE MÉCANISME DE LANGE



Nous avons, dans un premier article[1], étudié chez Lange le disciple de Kant et de Fichte. Nous n’aurions fait connaître que très-imparfaitement le célèbre auteur de l’Histoire du matérialisme, si nous n’essayions de donner un sommaire de son mécanisme, de ce qu’on a pu appeler le matérialisme de Lange.

Le mécanisme est pour Lange la méthode essentielle, exclusive de la connaissance scientifique. Mais qu’est-ce que la science, selon lui ? — Une explication rationnelle, c’est-à-dire faite pour la généralité des intelligences, du monde subjectif de nos sensations individuelles. Pour que cette explication ait le caractère de l’universalité, il faut qu’elle soit vérifiable, indépendante de l’arbitraire des sujets connaissants. On doit en écarter rigoureusement tout ce qui échappe au contrôle. Non-seulement l’imagination, les préjugés, les passions n’y auront aucune part ; mais toutes ces impressions qui varient avec la diversité des organisations sensibles, toutes ces certitudes que la conscience conçoit, mais dont elle ne peut fournir la preuve aux autres, en seront impitoyablement écartées. Ce n’est pas encore assez dire. La science n’est pas moins faite pour agir que pour comprendre. Elle n’aspire même à la connaissance qu’en vue de l’action. « La science est conquérante », selon le mot de notre Claude Bernard. Les faits qui ne servent pas à l’action du savant ne sont pas du domaine de l’investigation scientifique. Le monde que la science ambitionne de découvrir ou plus justement de construire, c’est le monde de la réalité et de l’action pour tous ; c’est, dans toute la force étymologique du mot allemand, la Wirklichkeit. Les faits ou les réalités qui ne sont susceptibles ni d’être vérifiés par les calculs, ni d’être modifiés par les instruments, n’ont rien à démêler avec la science proprement dite. Ce qui, encore une fois, ne signifie pas qu’ils échappent à toute connaissance, et que, à côté de la certitude scientifique, une autre certitude ne puisse les atteindre : mais elle ne saurait s’appeler des

  1. Voir la Revue philosophique du 1er  octobre 1877.