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séailles.l’esthétique de hartmann

simple bourgeoise allemande est infiniment au-dessus d’une Hélène « grecque, et peut offrir infiniment plus à un homme dans son amour. » Quoi qu’il en soit Faust se lasse de l’idéal antique et il s’élève au-dessus de l’illusion de la jouissance, qu’elle vienne de la réalité ou des beautés d’une apparence.

Sur les sentiments de Faust, dans la dernière phase de son développement, deux passages méritent d’être signalés. Il dit à Hélène : « Être est un devoir quand ce ne serait qu’un instant, » et plus loin il ajoute : « Au monde qui t’appartient préfère la patrie. » C’est un progrès pour lui d’abaisser sur la patrie ses yeux jusque-là tendus vers l’infini, sur la patrie, qui est tout près et à laquelle on peut consacrer l’existence reconnue comme un devoir. Il sait qu’aucune jouissance ne peut satisfaire son activité dévorante, et il se tourne vers l’action même. « L’action est tout, dit-il, rien la gloire. » Son ardeur se tourne maintenant vers l’action qui crée pour la patrie. Il veut conquérir sur la mer un pays « non pas sûr, mais fait pour être habité « par des hommes actifs et libres. » Ce n’est pas le repos ni le bien-être dans l’oisiveté, qu’il veut obtenir, c’est la lutte constante pour le progrès, le combat sans trêve contre les dangers qui menacent du dehors et les difficultés intérieures. Agir, travailler, mériter à toute heure la liberté et la vie, en les conquérant à toute heure, voilà la dernière conclusion de la sagesse. Il en est revenu à la sentence que lui jetait ironiquement Méphistophélés dans la cuisine de la sorcière : « Travailler dur et vivre simplement. » Mais cette joie du travail lui est enlevée par le rôle de la magie dans son œuvre, aussi il repousse et maudit cette puissance étrangère : « Ô nature, que ne suis-je un homme devant toi, rien qu’un homme, ce serait alors la peine de vivre ; je l’étais autrefois. » Ainsi Faust, au terme de sa vie, se réconcilie avec le destin d’être un homme, il reconnaît sa malédiction contre lui et le monde comme un blasphème, et il s’avoue coupable de n’être arrivé à cette idée qu’après une vie tumultueuse et mal employée. Mais cette réconciliation avec l’existence n’est possible que par l’abandon du moi, que par le renoncement à toute jouissance, à toute joie, à tout contentement personnel, que par le dévouement absolu à la patrie et à l’humanité, que par l’activité sans trêve non pour atteindre un but définitif, mais pour marcher toujours en avant. Si Faust ne maudit plus les espoirs et les illusions, c’est qu’il y voit les liens qui rattachent l’homme à la terre et lui donnent le courage de lutter contre la nature et de conquérir chaque jour sa liberté. Méphistophélés a perdu son pari, Dieu avait raison : « un homme bon dans son obscur instinct a conscience du droit chemin. » Instinctivement Faust a trouvé la solution du problème de Faust