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moment unique, qui ne se retrouve pas, et voilà pourquoi vos attaques ne sont déjà plus, tandis que Roméo et Juliette vivront éternellement comme le premier amour. »


Le poëme de Faust est une image des luttes de l’humanité tout entière, mais il est avant tout le fidèle miroir des égarements et des combats intérieurs du peuple allemand, auquel il peut ainsi donner une plus profonde conscience de lui-même. M. de Hartmann divise son étude en deux parties : dans la première il étudie le caractère de Faust, dans la seconde son développement psychologique.

Nous trouvons dans le long monologue du premier acte tous les documents nécessaires pour savoir ce qu’est Faust, au moment où commence le drame. Fils d’un médecin distingué, il a hérité d’une partie de sa réputation. Dans le commerce de ce savant, il n’a pu acquérir la grâce et la sûreté de l’homme du monde ; de son propre aveu, il manque d’aisance (leichte Lebensart), il le sait, et c’est ce qui le rend timide, embarrassé. Un jour il reconnaît l’impuissance des médicaments de son père, et il se tourne vers Dieu avec la foi naïve d’un homme du moyen âge. Jusqu’à l’heure où le doute s’éveille en lui pour son tourment, la dévotion est le refuge de son âme éprise d’idéal. Sa naissance, sa soif de savoir, sa timidité, sa défiance, tout s’unissait, pour faire de lui un savant : son malheur est de s’être ainsi séquestré dans la vie spéculative. Son ambition, son désir de dominer et de jouir le poussaient vers la vie pratique. Il n’aurait pas été insensible aux biens du monde, il se plaint de n’avoir « ni or, ni honneur, ni dignité ici bas, » il attend de Méphistophélès « l’or brûlant et le beau plaisir divin de la gloire. » Il pressent bien le vide de toutes ces joies, mais il a été contraint de s’en passer, c’est une raison pour lui de les désirer. D’ailleurs la science l’a trahi. Il avait espéré trouver en elle la suprême consolation, l’oubli de la foi naïve perdue, des plaisirs bruyants du monde librement abandonnés ; elle ne lui a rien donné de ce qu’il en attendait, elle n’a tenu aucune de ses promesses, et l’a laissé désespéré avec le regret de sa jeunesse à jamais sacrifiée. Quels sont les fruits qu’il a recueillis de sa longue vie d’étude ? Il a eu des heures d’exaltation, où il a pris la vérité relative pour la vérité absolue ; où il s’est imaginé avoir déchiffré l’éternelle énigme, être remonté à la source de l’être ; où il s’est proclamé l’image ou même le rival de la divinité ; mais à ces courts instants de jouissance et d’orgueil ont toujours succédé de longues heures de désespoir et d’humiliation, et il en est arrivé à cette conclusion dernière qu’il est « aussi fort qu’au premier jour et que nous ne pouvons rien savoir. » Des