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LA CONTINGENCE DANS LA NATURE

ET LA LIBERTÉ DANS L’HOMME

SELON ÉPICURE

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Selon Épicure, il est deux idées également capables de troubler l’esprit humain et dont il importe également de se délivrer pour jouir de la sérénité intellectuelle. La première, c’est la croyance à quelque divinité agissant sur le monde et sur l’homme ; la seconde, la croyance à une nécessité universelle régissant la nature. On connaît la lutte des Épicuriens contre les dieux et leur prétendue providence ; ce qui n’est peut-être pas aussi bien connu, malgré Gassendi et Bayle, malgré les savantes études de M. Ravaisson et de M. Zeller, c’est la lutte d’Épicure contre l’idée de nécessité. Cette partie de son système est originale et d’autant plus intéressante qu’elle rappelle par plusieurs points des doctrines contemporaines. Nous essaierons d’exposer ici la conception d’Épicure, sans prétendre l’apprécier autrement qu’au point de vue de son importance historique et de son originalité.

«  Il était encore meilleur », dit Épicure, « d’ajouter foi aux fables sur les dieux que d’être asservi (δουλεύειν) à la fatalité des physiciens. La fable, en effet, nous laisse l’espérance de fléchir les dieux en les honorant, mais on ne peut fléchir la nécessité (ἁπαραίτητον τὴν ἁνάγϰην)[1]. » — Épicure a eu, comme on voit, un vif sentiment de l’effet produit sur l’esprit humain par la conception du déterminisme scientifique, d’autant plus que l’école rivale de la sienne, l’école de Zenon, fondait sa doctrine sur cet universel enchaînement des causes et des effets. D’autre part, Démocrite le physicien, son prédécesseur et son maître, affirmait aussi que « toutes choses se font dans le monde selon la nécessité. » Après avoir renversé les dieux du paganisme,

  1. Epic. ap. Diog. Laërt., X, 134. C’est Démocrite qu’Épicure désigne par les mots οί φυσιϰοί.