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scènes rend difficile la tâche de faire bien comprendre au spectateur par quelques traits tout un caractère. La difficulté est bien plus grande encore quand il s’agit d’un caractère qui se fait ; mais cette œuvre est possible, puisqu’on l’a accomplie.

Cependant la peinture de l’âme n’est pas encore la fin dernière du drame. Une âme tranquille, inerte, n’est ni poétique, ni dramatique. La poésie commence avec le mouvement, avec l’action. L’action seule suffit à donner un drame bien que d’un ordre inférieur ; retranchez-la, il ne reste rien. C’est ce qui fait que l’impression produite par un caractère est proportionnelle non pas à sa force, à sa grandeur, mais à sa puissance d’expression, par suite à la violence des passions. Des caractères faibles, inconséquents (Tasso, Roméo), sont plus dramatiques que des caractères résolus (Antonio). Les âmes qui éveillent en nous le maximum de la sympathie ce sont celles qui par la violence de leurs passions émeuvent notre sensibilité, en même temps que par la force et la constance de leur nature, elles s’imposent à notre réflexion. C’est ce qui explique que certains types nous attachent si vivement, bien que par d’autres points ils nous soient antipathiques. (Macbeth. Richard III.)

L’action. — Pour les uns, l’action n’est qu’un ensemble d’événements extérieurs, une suite de batailles, de rapts et de morts ; les autres, dégoûtés de ces représentations matérielles et sans âme (Seelenlosigkeit), cherchent l’essence du drame non dans l’action mais dans la série des états de l’âme qui se manifestent. Les premiers vont à l’épopée, les seconds à la poésie lyrique.

Otto Ludwig, fanatique de Shakespeare et auteur de drames d’une action si vivante, s’est laissé égarer par son admiration pour le grand poète anglais. « Il est non-seulement mauvais, dit-il, mais encore impossible que l’action soit le principal dans le drame… Dans Shakespeare, on voit que l’important ce sont les entretiens pleins de pensées et de sentiments, avec de puissants contrastes ; l’action, la trame des faits n’est pour lui qu’une occasion. Les actions sont comme les tiges, les feuilles, le tronc et les rameaux, de simples conditions pour la naissance de la fleur, dans son éclat et dans son parfum. La marche de l’action représente les mouvements par lesquels le poète, comme un montreur de lanterne magique, fait évanouir une image et en évoque une autre. »

D’abord Otto Ludwig n’entend ici par action que la liaison exté-

    de Gœthe dans Faust, nous citerons l’admirable caractère de Néron dans Britannicus, Pauline dans Polyeucte. — D’ailleurs, Faust est une épopée plutôt qu’un drame, et comme créateur épique, nous avons Balzac qui peut supporter la comparaison.