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contraire l’impossibilité d’atteindre un tout de ce genre. Tel est le vrai terrain de la science ; mais il n’est pas aussi facile de s’y tenir que le croit M. Béraud et son exemple le prouve, après bien d’autres : le naturel chassé ne va pas loin, et la métaphysique lui ressemble un peu.

À propos de l’argument physico-théologique, M. Béraud nous donne son avis sur la finalité, dont il repousse l’hypothèse, comme incompatible avec la permanence de la force. Ne se méprend-il pas sur le sens et la portée de ce principe ? Tout ce que la causalité signifie pour l’esprit, c’est, semble-t-il, un ordre régulier de succession entre les phénomènes, ou, si l’on veut, la détermination des uns par les autres : le pourquoi de cet ordre, le comment de cette détermination nous échappe et n’est pas du ressort de la science. La quantité de cette abstraction qu’on nomme la force a beau se retrouver la même après un changement (et il resterait à savoir si nous ne le préjugeons pas, si la prétendue constatation n’est pas un cercle), l’état nouveau n’est pas expliqué pour cela comme une conséquence nécessaire et adéquate de l’ancien. La causalité et la loi d’équivalence n’enchaînent que le fond des choses, c’est-à-dire qu’une entité ; leur forme demeure contingente aux yeux de la pensée, et rien n’empêche qu’une action créatrice ne s’y exerce suivant un certain plan. La même quantité de force peut soutenir une infinité de formes : pourquoi prend-elle l’une plutôt que l’autre ? Dira-t-on qu’un choix ne peut trouver place où se montre une loi inflexible ? Mais c’est précisément de cette loi, de son contenu, qu’il s’agit ; elle est contingente dans son tout comme dans ses parties, c’est-à-dire dans ses applications, et qui dit contingence dit finalité possible. En un mot, nous ne pouvons pas plus établir par démonstration l’absence de finalité que la finalité même, et la critique de l’auteur vaut contre son dogmatisme comme contre celui qu’il combat.

Tout le livre de M. Béraud est une réfutation des preuves de l’existence de Dieu fondées sur la présence de son idée en nous, puisqu’en montrant l’incohérence de cette idée, il établit qu’elle n’en est pas une, sinon au sens kantien du mot. Dans la discussion actuelle, l’auteur se contente de faire voir qu’on ne peut conclure d’une pareille idée à son objet. Il est regrettable qu’il n’ait pas essayé de saisir le principe caché de ces arguments, qui est au fond le principe même de l’idéalisme. Certaines idées, et en particulier celle d’infini, ou plutôt d’absolu, sont nécessaires, en ce sens que tout acte de pensée les implique. Cette nécessité des formes de la pensée est toute hypothétique : elle suppose toujours le fait qu’une pensée est réalisée quelque part. D’une telle nécessité peut-on conclure une nécessité absolue, non plus imposée et subie, mais fondée sur elle-même ? En d’autres termes, notre pensée est-elle, d’un seul mot, la pensée, et cette pensée est-elle nécessaire, non-seulement en ce sens, qu’elle s’apparaît telle aussi longtemps qu’elle existe, mais en cet autre, qu’elle l’est absolument, dans son fond comme dans sa forme ? Est-elle un phénomène, un dehors, un