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séailles.l'esthétique de hartmann

la tige, les diverses matières colorantes, et les sépare nettement les unes des autres. Les distances, où sont placées de la tige ces limites des couleurs, varient avec chaque barbule ; mais pourquoi sont-elles réparties ainsi ? En vue de former, par la disposition des barbules, des figures déterminées : les œils de paon. Et pourquoi ces œils de paon ? En vue de la beauté du dessin et de l’éclat des couleurs[1]. » Sans doute Darwin a tenté d’expliquer ces merveilles par un mécanisme, soumis aux seules lois d’un aveugle destin, mais y a-t-il réussi ? L’hérédité, qu’il invoque, ne peut expliquer que la transmission d’une qualité, non sa nature ou son apparition. Recourt-on à la sélection sexuelle ? Nous demandons alors pourquoi l’individu est guidé dans son choix par des considérations esthétiques ? Ne faut-il pas voir dans cet instinct, qui tend sans conscience à l’embellissement de l’espèce, un des moyens employés par la nature pour atteindre son but avec moins de travail ? Le mécanisme plein d’intelligence, dont Darwin nous a révélé les secrets, ne doit-il pas cette sagesse qui enchante ceux même qui la nient, à la pensée qui le dirige, à l’activité raisonnable dont il n’est que la visible expression ! C’est l’inconscient qui, dans tout ce qui est, cherche à faire pénétrer quelque rayon de beauté ; c’est lui qui est le dieu de l’inspiration dans l’homme ; c’est lui qui dans l’animal allume les lueurs mystérieuses de l’instinct, c’est lui enfin, qui partout présent bien qu’invisible, dirige les résultantes des forces physiques vers des fins déterminées. Chez l’homme, l’œuvre est extérieure et l’idée se réalise dans une matière étrangère ; dans la nature l’individu est à la fois le marbre et le statuaire, l’idée lui est immanente et sans même en avoir conscience il s’efforce d’en devenir l’image : dans les deux cas, le beau est l’œuvre de l’inconscient ; les effets sont différents, la cause est identique. Tout prouve cette aspiration universelle vers la beauté : l’activité esthétique de la plante qui, dès qu’elle est affranchie des nécessités de la lutte pour la vie, se pare des plus brillantes couleurs, les ornements éclatants des espèces marines inférieures, le plumage de l’oiseau, l’aile du papillon, et jusqu’à cet instinct précieux qui pousse tout être vivant, l’homme comme l’animal, à confier les germes de la vie future à l’être le plus parfait de son espèce.

Posons donc en principe « que chaque être est aussi beau que le « permettent les conditions auxquelles sa vie et sa naissance sont soumises. » Ce qui limite le domaine de la beauté, c’est que l’organisme doit avant tout être apte à la vie et aux luttes qu’elle exige ;

  1. Philosophie de l’inconscient, t. Ier, p. 317, Trad. D. Nolen.