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analyses.blaserna. Le Son et la Musique.

ouvrage nous apprend comment la musique s’est perfectionnée d’âge en âge à mesure que le sentiment esthétique s’est de plus en plus raffiné ; comment la construction de notre gamme actuelle est le produit d’améliorations successives ; et il nous fait entrevoir de nouveaux progrès possibles dans l’avenir. Cependant je n’oserais aller aussi loin que M. Blaserna et affirmer que la musique, et spécialement la musique moderne, n’a pas une nature et une valeur absolues, qu’il n’y a d’absolu que les lois des sons et de leurs combinaisons (p. 93 et p. 150). Je pense, au contraire, que cet art, comme tous les autres, tend vers un idéal fixe, et que les différents systèmes musicaux en usage chez les différents peuples ou à diverses époques historiques ne sont que les étapes successives qui nous en rapprochent. Comment en serait-il autrement d’ailleurs ? pourrions-nous revenir à la gamme pythagoricienne ? Sans doute, si l’on réveillait du tombeau Pythagore, que dis-je ? Palestrina lui-même, il est vraisemblable que ces grandes ombres trouveraient notre musique monstrueuse, autant que nous trouvons barbare celle des Chinois ou des Nègres. Cet argument ne renverse-t-il pas la thèse ? Non : il y a.là une question d’éducation. Il n’y a pas d’apparence qu’un Meyerbeer ou un Wagner, soumis à un enseignement régressif, finissent par se plaire à la musique d’autrefois, tandis qu’en procédant graduellement et lentement, on habituerait à coup sûr les illustres maîtres qui ne sont plus, à sentir les beautés modernes de l’harmonie. Il résulte de là que, si la musique est cultivée dans d’autres planètes que la nôtre, les principes sur lesquels elle s’appuie ne doivent pas différer essentiellement de ceux que le travail et le sentiment esthétique ont fait découvrir peu à peu aux habitants de notre Terre[1].

Comme on le voit, le savant professeur est loin de négliger le côté philosophique des questions. Il distingue (p. 24) les vibrations, phénomène objectif qui existe même pour un sourd, du son, phénomène subjectif dépendant de la présence d’un appareil auditif. Il fait cette remarque, à mon sens, très-juste, que la musique n’exprime pas des sentiments déterminés ; qu’elle s’applique, au contraire, aux situations de l’esprit d’où peut naître un sentiment spécial ; que, quant au sentiment déterminé, c’est nous qui le faisons connaître par les paroles unies au chant ; la preuve qu’il en est ainsi c’est que, si l’on change les paroles ou si l’on en altère le sens, la même musique s’adaptera à des sentiments très-divers. Autre part (p. 144) il insiste sur cette proposition que nos organes ne sont pas exercés à saisir les modifications subjectives des impressions qu’ils subissent, mais dirigent toute leur activité vers la connaissance de l’extérieur si importante pour notre conservation. C’est là un fait inconnu de bien des artistes, et cette ignorance a pour nombre d’entre eux cette conséquence que les sons harmoniques passent inaperçus. Enfin j’appellerai l’attention du lecteur sur

  1. J’ai essayé de démontrer scientifiquement cette question dans ma Note sur la détermination rationnelle des nombres de la gamme chromatique. — Bulletins de l’Acad. de Belgique, 2e  série, tome XXI.