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analyses.ferraz. Études sur la Philosophie.

Dans une œuvre aussi considérable que celle de M. Ferraz, il est impossible qu’il n’y ait pas quelques jugements inexacts à relever. Nous n’en citerons qu’un : toujours préoccupé du sensualisme, dont il exagère l’influence et qui, d’après lui, aurait joué dans l’histoire de la philosophie contemporaine le rôle de ce personnage de la fable :

« Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout le mal, »

M. Ferraz écarte des origines du positivisme l’influence de David Hume. « Au lieu d’expliquer le positivisme français, comme on le fait, par le scepticisme de Hume, il faut tout simplement, suivant moi, le faire dériver du sensualisme de notre pays et du St-Simonisme » (p. 312). Je ne nie pas qu’Auguste Comte, lié dans sa jeunesse avec St-Simon, n’ait subi l’influence de cet étrange personnage, surtout dans la seconde phase de sa vie et de sa doctrine, quand une évolution inattendue le conduisit à tout accorder au sentiment et au cœur, après lui avoir tout refusé, et à donner au Cours de philosophie positive le couronnement étrange d’une philosophie mystique. Mais ce qui demeure malgré tout, en dépit des effusions sentimentales et religieuses des dernières années, le caractère propre d’Auguste Comte, c’est l’hostilité contre toute spéculation transcendantale, c’est la négation de toute métaphysique, la réduction des connaissances aux seuls phénomènes positifs. Or, ici il s’inspire ouvertement de la critique de Hume, et en le niant, M. Ferraz, non-seulement contredit la vérité, mais se met en opposition avec le témoignage d’Auguste Comte lui-même : « Sous l’aspect purement mental, le judicieux Hume entreprend avec hardiesse… d’ébaucher directement le vrai caractère des conceptions positives… Ce travail constitue le seul pas capital qu’ait fait l’esprit humain vers la juste appréciation directe de la nature purement relative, propre à la saine philosophie, depuis la grande controverse entre les réalistes et les nominalistes[1]. » Auguste Comte avoue donc hautement D. Hume pour son maître, et en effet, le positivisme n’est pas autre chose que le système de Hume généralisé, et, de psychologique qu’il était, devenant encyclopédique, en s’appliquant à l’ensemble des connaissances humaines.

Celui de tous les réformateurs de ce siècle que M. Ferraz a étudié avec le plus de sympathie, est visiblement Proudhon, qu’il appelle un socialiste demi-rationaliste. Il lui pardonne beaucoup parce qu’il a connu et aimé la raison et la liberté, et fait entrer dans ses spéculations l’idée de justice. Il explique, non sans raison, par les impressions d’une enfance malheureuse, les haines sociales qu’il manifesta dans l’âge mûr ; il rappelle que Proudhon, enfant, au sortir de la distribution des prix, ne trouvait pas de quoi dîner dans la maison où il rentrait chargé de couronnes. Plus bienveillant pour lui que ne l’ont été d’autres philosophes de notre temps, M. Ravaisson, par exemple, et

  1. Cours de Philosophie positive, tome VI, p. 259.