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analyses.ferraz. Études sur la Philosophie.

nouvelles et les plus audacieuses. Il faut remonter jusqu’au xvie siècle, pour trouver un aussi grand nombre de spéculations hasardées, et de figures historiques originales. La date récente de ces conceptions, leur caractère révolutionnaire sont un attrait de plus pour le lecteur. Mais c’est aussi le grand écueil d’un sujet qui réveille à chaque pas des discussions mal apaisées, si rapprochées de nous qu’elles nous passionnent encore. Il fallait, pour triompher des difficultés de ces études, un esprit ferme qui sût résister à des nouveautés engageantes, sans cependant s’armer du préjugé ou de la passion pour les combattre, sans se départir jamais des règles d’une exposition impartiale et d’une discussion modérée. C’est par ces qualités que se recommande précisément l’auteur de ce livre ; il a apporté dans son travail, avec la clarté et l’agrément du style, une érudition consciencieuse, une étude exacte des textes, et surtout l’impartialité d’une critique douce aux hommes, même quand elle est sévère pour les doctrines.

On devine, sans qu’il soit nécessaire d’y insister, d’après quels principes un rationaliste convaincu, tel que M. Ferraz, juge et condamne des systèmes qui, comme le St-Simonisme, allient un faux esprit religieux à des utopies scientifiques ou industrielles, empruntant au moyen âge son organisation, ses moyens, avec un but tout autre ; qui émancipent et flattent la passion, et font fi de la raison, comme le fouriérisme ; qui enfin excluent tout « à priori » de la pensée, toute réalité substantielle de l’existence, comme l’empirisme positiviste. Ce qu’il importe davantage de faire ressortir, c’est l’esprit libéral qui anime l’ouvrage de M. Ferraz. L’auteur n’est pas un de ces partisans platoniques du libre arbitre qui après avoir installé la liberté dans le sanctuaire de l’âme, se contentent de lui tirer, en passant, une révérence, et puis, dans la vie et dans la politique, pensent et agissent comme de purs fatalistes. M. Ferraz suit jusqu’au bout, et dans toutes ses conséquences pratiques, la doctrine de la liberté : il n’en redoute pas l’application. C’est sur la liberté qu’il compte pour nous rapprocher peu à peu de l’idéal de l’organisation sociale. « Dans l’ordre métaphysique, dit-il, le rationalisme condamne le mouvement du xviiie siècle, mais dans l’ordre politique il le légitime en le réglant. » Aussi repousse-t-il avec énergie tous ces plans de société autoritaire qui ne sont que des pastiches du moyen-âge, rêvés par de prétendus réformateurs qui ne sont au fond que des copistes. Il blâme le St-Simonisme, par exemple, d’avoir « sacrifié l’examen et la liberté à la foi et à la charité. » Il ne croit pas que l’unité absolue soit la condition nécessaire du bonheur et de la durée des états. Il ne veut pas plus d’un despotisme industriel ou scientifique, que d’une tyrannie théocratique ; il a foi en la raison ; il espère de la conscience et de la responsabilité humaine, assez de progrès pour rendre peu à peu l’autorité inutile et supprimer dans l’avenir la domination de la force.

Les doctrines personnelles ne sont d’ailleurs présentées qu’avec discrétion dans un livre qui reste constamment fidèle à son caractère