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analyses.liebmann. Zur Analysis der Wirklichkeit.

l’addition de la forme de l’espace à la matière de la sensation et, selon la forte expression de Descartes, « de la géométrie appliquée. »

Cet essai mérite spécialement d’être lu : c’est un modèle à étudier, pour l’érudition et l’art de la mettre en œuvre, pour les discussions, qui vont jusqu’aux dernières précisions, et convainquent absolument. On peut seulement regretter que M. Liebmann y maintienne plus que jamais la croyance, si peu conforme à son Kantisme, en une métaphysique rationnelle, c’est-à-dire en un monde de noumènes où les lois de l’Intelligence, et la nécessité, vaudraient encore.

La logique des Faits. — Les faits s’enchaînent selon le principe de causalité, les idées selon le principe de contradiction. Ces deux principes sont distincts absolument, et c’est la gloire de Hume et de Kant d’avoir établi cette distinction. Elle se fonde sur deux remarques. 1° La Raison suffisante d’un fait enveloppe deux causes : l’une occasionnelle, et l’autre efficiente ; un antécédent convenable et une loi. 2° Le rapport de cause à effet n’a lieu que dans le Temps ; au contraire le rapport logique est au-dessus du Temps, et le principe posé, la conséquence s’ensuit sans attendre aucune intervention. — Toutefois ces différences ne sont point absolues. D’abord tout fait est comme la conclusion d’un syllogisme dont la majeure est une loi, et la mineure un autre fait servant d’occasion à l’application de la loi. En outre, puisque les distances dans les temps varient, aux yeux de différents êtres, selon leur nature, pour une Intelligence sans bornes, le Temps n’existerait plus : les faits se dérouleraient à ses yeux, naissant de leurs lois, ou plutôt, grâce aux rapports de celles-ci entre elles, d’une loi unique, comme les conséquences qui sont contemporaines de leur principe. Cette Intelligence serait « la Logique des faits devenue réelle. » — Donc la distinction entre la Liaison causale et la Nécessité logique, bonne pour nous autres hommes, n’est pas bonne en soi.

Qu’il suffise ici de le remarquer en passant ; cette intelligence supérieure, dont parle fréquemment M. Liebmann, n’étant pas assujettie aux conditions du Temps et de l’Espace, semble par là élevée à un état de perfection. Elle voit sans doute les choses telles qu’elles sont en soi. Si elle les voit former un tissu logique, c’est donc que la Nécessité fait partie de l’essence des choses ; cette nécessité est une puissance réelle, et le Fatum se trouve naturellement personnifié dans l’Intelligence absolue. C’est pour fuir ces conséquences, bien connues déjà des théologiens que la prescience a tant embarrassés, que Kant a rejeté une telle Intelligence : il a abandonné à dessein la preuve téléologique comme les autres, réservant à Dieu le rôle de Juge, plus moral et plus conciliable avec notre liberté.

Les Métamorphoses de l’a priori. — Remarquable chapitre d’histoire : c’est l’exposé des progrès de la doctrine rationaliste, depuis Descartes jusqu’à Schopenhauer. Contentons-nous de relever quelques idées notables.

Deux arguments ingénieux en faveur de l’a priori : D’abord même