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III

Dans la partie synthétique de son ouvrage, consacrée au mécanisme de la connaissance, ce qu’il faut louer d’abord chez M. Taine c’est le parti-pris bien net de renoncer à toute explication par des entités. Nul n’a été plus hostile à l’hypothèse des facultés, à « ces êtres spirituels cachés sous les phénomènes comme sous des vêtements, » à ces qualités occultes personnifiées sous les noms d’imagination, mémoire, raison, etc., qui ne sont que des explications verbales, héritage des scolastiques. Pour lui, le pouvoir (la faculté, la force) n’est que la propriété qu’a un fait d’être toujours suivi d’un autre fait : et c’est ce qu’il a montré par de nombreux exemples. Par suite tous les fantômes métaphysiques s’évanouissent et il ne reste plus que des faits et des rapports. Cette manière de procéder en psychologie a paru singulière à beaucoup de gens. Elle était, en effet, complètement en désaccord avec leurs habitudes d’esprit et, ce qui est capital, avec une tendance naturelle à l’esprit humain. Expliquer les phénomènes par une abstraction qui en est tirée et qui en représente la quintessence, tel est le début de toute science de fait : ainsi ont commencé la physique et la chimie. Mais les psychologues doivent perdre cette habitude, comme l’ont fait les physiciens et les chimistes. Quand par une discipline soutenue, ils se seront accoutumés à ne considérer que des phénomènes et des rapports, ils auront acquis une manière de penser plus scientifique et aussi commode que l’autre.

C’est par la tendance hallucinatoire, qui est inhérente à la fois à la sensation et à l’image, que M. Taine explique à la fois la perception extérieure et la mémoire.

Pour lui la perception est « une hallucination vraie. » Cette expression a fait du bruit et a été souvent critiquée. Le terme même d’hallucination vraie, a-t-on dit, implique une contradiction, puisqu’une hallucination emporte l’idée d erreur. De plus, l’état maladif auquel est empruntée toute cette théorie se distingue notoirement des autres états avec lesquels M. Taine se plaît à le confondre : l’imagination, le souvenir, le rêve : en général, par cela même qu’elle est maladive l’hallucination se prête mal à devenir le type de nos opérations intellectuelles.

Si la critique porte sur l’expression, on ne peut dire qu’elle est juste, car ce terme a donné lieu à beaucoup de contre-sens. Quant au fond, l’affirmation de l’auteur est exacte : elle montre que contrai-