Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/406

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
396
nolen.l’idéalisme de lange

du monde, qu’il suppose l’existence des choses en soi, ou, puisque la chose en soi n’est qu’une dernière application de notre pensée intuitive, qu’il se ramène, au fond, aux pures relations d’esprits différents, lesquelles correspondent aux formes et aux degrés divers de la connaissance sensible, sans qu’une manifestation adéquate de l’absolu dans un esprit pensant doive être admise en général. »

On reconnaît aisément dans ces lignes un écho de la pensée de Fichte[1]. Mais n’attendons pas autre chose de Lange que de courtes et générales indications de ce genre. Il propose discrètement son hypothèse ; il n’entreprend pas de la développer, et se garde bien de construire un système de métaphysique.

Ne lui demandons pas plus une théorie complète du beau et du bien, qu’une doctrine métaphysique sur l’être. Cependant, nous pouvons espérer surprendre, même dans les lignes flottantes de son esthétique et de sa morale, quelques traits complémentaires de sa doctrine métaphysique.

Les principes essentiels de la doctrine esthétique de Lange se trouvent dans la critique à laquelle il soumet l’esthétique matérialiste de Diderot. La vérité esthétique est distincte essentiellement de la vérité scientifique. Le matérialiste, qui fait de cette dernière le principe suprême, exclusif de l’explication des choses, dénature nécessairement la mission de l’art, et le rabaisse au rôle de copiste servile, tout au plus d’interprète docile de la nature. Lange oppose l’artiste au savant, comme il faisait tout à l’heure le métaphysicien. Selon lui, l’âme ne doit qu’à sa puissance créatrice, qu’au jeu de sa fantaisie spontanée les types de beauté qui l’enchantent. Elle ne demande à la réalité qu’une excitation, un soutien, non une règle, un modèle. « Ce sont les pensées et les aspirations de l’homme, qui enfantent l’idée d’ordre comme celle de beauté. Plus tard apparaît la philosophie scientifique de la nature, qui détruit ces idées : mais elles renaissent constamment. »

C’est ainsi que l’homme est optimiste, quoique la nature ne soit ni bonne ni mauvaise, puisqu’elle est nécessairement ce qu’elle doit être. La nature est étrangère par elle-même à l’ordre esthétique ou moral ; elle ne connaît que l’ordre inflexible de la nécessité mécanique. Tout y est à sa place, si on la contemple du point de vue de la science. Du point de vue de l’idéal, qui est celui de l’artiste, du philosophe, et aussi le point de vue naturel, instinctif de l’homme,

  1. Nous prenons la liberté de renvoyer, ici encore, le lecteur à notre livre sur la Critique de Kant et la métaphysique de Leibniz, pages 398 et suiv.