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II

Le métaphysicien et le réformateur religieux.

L’idéalisme subjectif de Kant est, avec des divergences plus ou moins profondes, la conclusion à laquelle aboutit, chez Lange, l’analyse de la connaissance. Mais la philosophie n’est pas destinée seulement, aux yeux de notre auteur, à répondre aux exigences de la pensée théorique. Elle doit aussi fournir l’aliment indispensable aux besoins de la conscience et de l’imagination, ces deux autres facultés non moins essentielles de l’âme humaine. Si l’esprit aspire au vrai, il ne tend pas moins au beau et au bien. Après avoir contemplé les choses du point de vue de l’entendement, le philosophe se place au point de vue supérieur de l’idéal, et demande aux libres créations de la fantaisie esthétique et de la foi morale les satisfactions que la critique et la science lui refusent également. À la métaphysique, à mettre en harmonie le monde nouveau de l’idéal et le monde de la connaissance théorique.

Lange paraît sans doute plus préoccupé de séparer ces deux mondes, que de les unir. Il ne se lasse pas d’insister sur la nécessité de distinguer la certitude de la science et celle de la métaphysique.

La vérité de la spéculation est comme celle de la poésie. Elle se mesure aux satisfactions que le cœur et la conscience eh retirent : et l’individu est seul juge de ses besoins esthétiques et moraux. La connaissance scientifique, au contraire, n’a d’autre fin que d’assurer le commerce des intelligences et des volontés, c’est-à-dire de construire le monde qui doit servir de matière à leur commune action : elle est donc essentiellement impersonnelle. L’idéal, cet objet de la spéculation, n’a sa réalité que dans la conscience de l’individu. Mais dans cette région sacrée, où les ailes de l’âme emportent son vol plus ou moins loin, suivant l’énergie de son amour pour l’idéal, elle va, comme dit Platon, puiser l’ambroisie divine qui console des déceptions et fortifie pour les luttes de la vie. Loin d’avoir moins de vérité que la science, la spéculation exprime une vérité plus haute, mais d’une autre nature. C’est ce que Lange traduit énergiquement, et sous une forme paradoxale, en disant « qu’il faut se faire une métaphysique, mais sans y croire. » Ainsi l’homme reconnaît et salue avec transport dans un chef-d’œuvre, dans un acte héroïque, la vérité de l’idéal, sans se préoccuper de savoir si l’idéal condamne ou non l’expérience et la réalité. Ce n’est pas assez dire. L’idéal a d’autant