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ce qui a été affirmé tout d’abord. Cette rectification provient du choc antagoniste de la sensation réelle. « L’image n’est donc pas un fait simple, mais double. Elle est une sensation spontanée et consécutive qui, par le conflit d’une autre sensation non spontanée et primitive, subit un amoindrissement, une restriction et une correction. Elle comprend deux moments, le premier où elle semble située et extérieure, le second où cette situation et cette extériorité lui sont ôtées. »

Ainsi, tandis que d’ordinaire, on ne voit entre la sensation et l’image qu’un rapport de plus à moins, de cause à effet, de modèle à copie, M. Taine découvre entre elles un rapport tout différent : un antagonisme, comme il s’en rencontre entre deux groupes de muscles dans le corps humain ; par exemple, entre les extenseurs et les fléchisseurs des doigts. Dès que cet antagonisme est rompu (dans l’hallucination, dans le rêve), la série intérieure des images, manquant de contre-poids, s’impose comme extérieure et réelle. Cette loi d’antagonisme signalée par l’auteur lui servira à expliquer le mécanisme de la perception et de la mémoire.


Son étude sur les sensations contient deux parties : l’une descriptive, l’autre élémentaire. Pour comprendre combien elle était neuve chez nous en 1870, le plus simple, c’est de s’adresser à l’école spiritualiste, qui seule s’est piquée d’avoir une psychologie et d’ouvrir ce qu’elle a produit de plus complet en ce genre : le Traité des Facultés de Garnier. Le chapitre consacré aux perceptions est d’un vague et d’une maigreur qui étonnent : connaissance nulle ou oubli total des données scientifiques. On y reconnaît ce goût incurable de l’école pour les généralités et cette inexplicable tendance à étudier des faits psychologiques avec le seul secours de la conscience. Tout au contraire, M. Taine s’est adressé aux physiologistes ; et il ne s’est pas contenté des traités généraux, il a consulté les mémoires spéciaux, il s’est fait renseigner sur les points douteux ; il a surtout interrogé la pathologie qui, par l’étude des déviations, fait mieux comprendre l’état normal. Son analyse du toucher, qu’il décompose en trois groupes de sensations (contact, température, douleur) peut être considéré comme un des meilleurs exemples de cette méthode qui, négligeant les dissertations stériles sur « les grandes thèses » s’enfonce dans les faits, note les exceptions, essaie de les interpréter et substitue une connaissance précise du sujet ou du moins de ses difficultés, à ces formules commodes de métaphysique qui permettent de ne rien savoir, en paraissant ne rien ignorer. Cette réduction à trois groupes peut prêter à des critiques