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rieurs jusqu’à l’homme ? Ne serons-nous donc, nous-mêmes, qu’une société, composée d’un nombre immense de cellules ou organites et, pour employer les expressions de l’auteur, un blastodème métamèrique ? (p. 113). Et faudra-t-il dire que, les infusoires monocellulaires exceptés, tout individu est une société, comme toute société est un individu ? Trop jaloux de se limiter à son sujet, M. Espinas se refuse à engager la discussion en ce qui concerne les vertébrés. Mais la question de l’individu est posée sur ce terrain par la plupart des biologistes, Carpenter, Hæckel, Virchow, C. Bernard, Bert (voir page 67) : quelques philosophes commencent à les y suivre, il sera difficile aux psychologues de ne pas les imiter. Pour ceux d’entre eux qui n’ont pas suivi le mouvement qui se fait à ce sujet dans les sciences de la vie, et font reposer l’individualité sur l’Idée que le moi a de lui-même, le deuxième chapitre des sociétés animales aura certainement quelque chose d’étrange et d’obscur[1].

Tout devient clair quand on aborde les sociétés fondées sur la reproduction. Ici nous rencontrons trois formes : la société simplement conjugale, la société maternelle (rapports de la mère et des petits), la société paternelle (accession du père dans la famille).

Le chapitre consacré à la société conjugale est traité avec une abondance et une variété de faits qui offrent un grand intérêt. Ici, comme le dit l’auteur, les deux individus se connaissent ; dans beaucoup de cas, leur union suppose un choix ; elle repose donc sur une représentation, sur une pensée ; elle est psychique en même temps qu’organique. Il nous montre en grand détail le rôle que joue dans la formation des sociétés conjugales, les attouchements excitateurs, les odeurs, les formes et les couleurs brillantes que tant d’insectes et de poissons ne revêtent que dans la saison des amours[2], les bruits et les sons à l’aide desquels les mâles s’efforcent de charmer une femelle, enfin les jeux, les parades, les tournois et les combats meurtriers. Cette première forme de la société donne ainsi naissance à toute une esthétique animale.

Mais la société conjugale ainsi formée n’est que la condition de la famille, non la famille elle-même. Celle-ci ne commence qu’au moment où la mère prend soin de ses petits ou tout au moins de ses œufs. La base de la famille est donc un fait psychique, l’amour maternel. Pour expliquer la famille, il faudrait donc expliquer tout d’abord l’amour maternel. L’auteur déclare que jusqu’à présent il n’existe aucune théorie

  1. M. Espinas admet que la cellule est le seul individu véritable ; que, hormis les êtres monocellulaires, tout vivant est une société : mais alors on ne voit plus comment la sociologie se distingue de la biologie. La cellule même qu’il prend comme le dernier terme de l’individualité est, aux yeux de certains anatomistes, un agrégat.
  2. L’auteur rappelle que M. G. Pouchet a montré que certains changements de couleur chez les animaux sont dus à l’influence de diverses émotions et par conséquent dépendent de l’action des centres nerveux. « Une puissante analogie, ajoute-t-il, nous engage à considérer le phénomène de coloration servant d’attrait sexuel comme dépendant de la même action et rentrant par là dans la sphère de la conscience » (p. 37). Plus d’un naturaliste refusera d’admettre ce raisonnement par analogie.