Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
329
ANALYSES. — espinas.Des sociétés animales.

fonctions de nutrition ; 2° les sociétés consécutives (adventives, électives) auxquelles la fonction de reproduction sert en général de lien.

Un troisième groupe de sociétés, fondées sur le partage des fonctions de relation, se greffe sur celui-là : en sorte que la sociologie animale comprendrait trois chapitres essentiels : 1" Sociétés de nutrition ; 2° Sociétés de reproduction (famille) ; 3° sociétés pour la vie de relation (Peuplades).


Les sociétés de nutrition appartiennent au plus bas degré de l’espèce animale. L’auteur en distingue deux sortes:1° celles qui ne présentent point de communication vasculaire entre les individus et qui se forment ainsi par accrescence. Telles sont certaines classes d’infusoires, comme les synamibes de Hseckel, les volvocïnés, les vorticelles désignées par Claparède et Lachmann sous le nom d’Épistylis, où les individus forment un arbre à ramification régulière qui les fait ressembler à une inflorescence en corymbe; 2° celles qui présentent une communication vasculaire entre les individus : elles se rencontrent chez les polypes, les bryozoaires, les tuniciers, les vers.

Dans l’examen de ces premières manifestations de la sociologie animale, M. Espinas s’est trouvé en face d’une grosse difficulté : qu’est-ce que l’individu ? Il la résout en envisageant la question du point de vue biologique. L’individualité n’est pas pour lui une entité métaphysique, absolue, invariable, qu’il faille tout entière accorder ou refuser à certains êtres. Elle est un des caractères de toute organisation définie, et varie avec le degré de concentration de l’organisme. Est individuel tout agrégat de matière vivante dont les différentes parties concourent à l’accomplissement de l’une des fonctions principales de la vie, nutrition, reproduction, pensée. À ce compte toute société normale est plus ou moins un individu. C’est là une des propositions fondamentales du livre que nous examinons. Mais, comme dans les régions inférieures de l’animalité, on rencontre un grand nombre d’êtres qui, bien que doués d’une individualité incontestable, sont composés d’autres êtres ayant, eux aussi, une unité morphologique et biologique nettement définie, on peut se demander si dans ce cas la proposition inverse ne serait pas applicable, c’est-à-dire si l’individu n’est pas une société. C’est ce que soutient en effet M. Espinas ; et il étend cette proposition non-seulement aux polypes agrégés, aux bryozoaires et aux tuniciers sociaux, mais encore aux vers, qu’il considère tous comme des individus composés, chacune des cellules qui les composent étant à l’ensemble, ce qu’est, par exemple, au sommet de l’échelle, le citoyen à la nation. Il appelle cet agrégat dont toutes les parties sont contiguës et participent à la même circulation, d’un nom nouveau destiné à indiquer son mode de formation : blastodème. Mais si les vers sont des blastodèmes, c’est-à-dire des individus composés, ou des sociétés, les arthropodes n’auront-ils pas le même caractère : et si les bryozoaires sont aussi des sociétés, que faudra-t-il penser des mollusques ? De proche en proche ce point de vue n’embrassera-t-il pas tout le domaine de la vie, jusqu’aux vertébrés supé-